DIFFÉRENCE SEXUELLE (psychanalyse)
Repenser la binarité
Un des premiers points du débat, du vivant même de Freud, fut la question de la sexuation de la libido. Pour Freud, il n'y a qu'une seule libido, mise au service de la fonction sexuelle masculine aussi bien que féminine. Mais la question d'une libido féminine, s'ancrant dans le somatique, fut vite posée par Karl Abraham, Ernest Jones ou Karen Horney. L'enfant fille n'avait-elle pas l'expérience de son espace intérieur plutôt que du caractère atrophié de son organe masculin ? Ne fallait-il pas opter pour une éclosion précoce de la libido féminine ? À cela Lou-Andréas Salomé apportait une réponse strictement freudienne en proposant le « cloaque », jonction de l'anal et du génital. Melanie Klein envisagera l'existence d'un stade féminin primaire commun aux deux sexes, et l'intérieur invisible de la mère comme la source des plus anciennes situations d'angoisse. Considérant la dyade mère-enfant, Donald W. Winnicott pose un « féminin pur », apulsionnel, assurant le « sentiment d'être » par opposition au « faire » situé du côté de la pulsion.
Mais Jacques Lacan, radicalisant la manière dont l'élément organisateur de la sexualité humaine est, selon Freud, la représentation de l'organe masculin, a élevé le phallus à la dignité conceptuelle. Il n'y a du reste pas, dit-il, « de symbolisation du sexe de la femme comme tel ». Le phallus devient le signifiant du désir, la trace de la castration, c'est-à-dire de l'acceptation de l'interdit de l'inceste. Objet substituable dans des séries d'échange, il est aussi le référent qui assure la possibilité de cette substitution. La castration opérée par la parole paternelle instituant la loi symbolique est le geste qui sépare la mère de l'enfant, et qui châtie l'Autre maternel d'avoir le phallus (l'enfant) et l'enfant d'être le phallus (pour la mère). Ainsi, « c'est en proportion d'un certain renoncement au phallus que le sujet entre en possession de la pluralité des objets qui caractérise le monde humain ». Le masculin n'est jamais que « sa propre métaphore ». Quelle que soit la fécondité de la lecture lacanienne, la position masculine court le risque d'y être réduite à son symbole, à la verticalité, tandis que l'opacité du « continent noir » demeure inexplorée, le féminin étant localisé du côté de l'égarement, du viscéral ou de l'infini de la jouissance (Encore, 1975).
Les recherches psychanalytiques les plus récentes tentent d'échapper aux repères imposés par la logique binaire de la castration pour ébaucher une possible symbolisation du féminin et de l'espace matriciel du dedans, en direction de la dialectique entre unité avec soi-même et rejet/accueil de l'étranger (Monique Schneider, Jacqueline Schaeffer) ou en développant l'idée que « l'autre sexe, pour tout un chacun, homme ou femme, c'est toujours le sexe féminin » tandis que « le sexe masculin, dans sa symbolisation phallique, est pour tout un chacun le même, que l'on a ou pas » (Jacques André). Cette co-création du masculin et du féminin est une perspective qui n'est d'ailleurs pas contradictoire avec un certain héritage freudien.
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Écrit par
- Odile BOMBARDE : maître de conférences au Collège de France
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