OUSTINOV DIMITRI (1908-1984)
La carrière du maréchal Oustinov, ministre de la Défense de l'U.R.S.S. durant huit ans, illustre les problèmes de la cohabitation des pouvoirs civil et militaire dans ce pays.
Dimitri Oustinov naquit dans une famille ouvrière russe de Kouibychev (l'actuelle Samara) le 30 octobre 1908. L'armée et le parti furent deux données inséparables de sa vie politique et professionnelle. Si l'armée fut toujours le cadre des activités de D. Oustinov, il n'embrassa cependant jamais la carrière militaire. C'est en tant qu'ingénieur mécanicien qu'il fut diplômé en 1934 de l'Institut technique militaire de Leningrad. En 1937, il entre dans une usine d'armements de Leningrad, dont il devient directeur l'année suivante. Nommé commissaire du peuple aux Armements en 1941, D. Oustinov organise à ce titre l'évacuation vers l'Oural des usines travaillant pour l'armée, sous le feu des canons allemands. En 1946, la dénomination de son poste change : il devient ministre des Armements puis, en 1953, ministre des Industries de défense. En 1957, il est promu vice-président du Conseil des ministres de l'U.R.S.S. et, en 1963, premier vice-président. Durant les années de vice-présidence – 1957-1965 –, il assume aussi au gouvernement la responsabilité des industries d'armement. Technicien très sûr, travailleur, réputé, Oustinov est tenu alors pour l'un des espoirs du système politique. Sa brillante ascension dans le parti confirme cette réputation. Membre du Parti communiste dès 1927, Oustinov devient membre titulaire du comité central (C.C.) en 1952, puis candidat au Politburo en 1965, époque où il entre au secrétariat du C.C. avec toujours la responsabilité des industries de défense. Au XXVe congrès (févr. 1976), il devient membre de plein droit du Politburo, et, en avril 1976, il est nommé ministre de la Défense. La nomination de ce civil – très proche sans doute des préoccupations militaires – à la tête de l'armée est l'aboutissement d'un long conflit entre pouvoir civil et pouvoir militaire. Depuis la mort de Staline, l'armée s'est imposée au système politique dans les débats internes et dans la politique extérieure. Et le Parti communiste s'est efforcé continûment d'en reprendre le contrôle. Qu'il ne soit pas militaire est ressenti par l'armée, en dépit des titres qui lui sont conférés : général d'armée en avril 1976 et maréchal en juillet de la même année. Le maréchal Oustinov a accumulé, outre les titres militaires, plus de décorations que quiconque dans l'appareil dirigeant : plusieurs fois nommé héros du travail socialiste, titulaire de onze ordres de Lénine, il était le seul membre du Politburo, tel qu'il était composé à la fin de 1984, à être héros de l'Union soviétique.
Le maréchal Oustinov a joué un rôle politique sans éclipse durant les années où la maladie éloigne peu à peu Leonid Brejnev du pouvoir, puis durant les deux successions qui suivirent sa mort. Il a pesé en faveur du candidat Andropov en 1982 et, durant la maladie de ce dernier, il est apparu comme un véritable porte-parole de la direction collégiale dont il a, semble-t-il, souvent présidé les réunions au sein du Politburo. Cette position d'autorité n'a pas été remise en question à l'arrivée de Constantin Tchernenko, en février 1984. Tout au contraire, le pouvoir fut alors détenu par un quasi-triumvirat où le secrétaire général du parti et chef de l'État délégua largement les responsabilités de la politique étrangère à Gromyko et celles de la défense au maréchal Oustinov. Celui-ci s'est exprimé très fréquemment sur de nombreux et essentiels problèmes de politique extérieure (invasion de l'Afghanistan, crise polonaise) où, généralement, les ministres de la Défense étaient plus silencieux. C'est lui qui exposa le plus nettement la position[...]
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Écrit par
- Hélène CARRERE D'ENCAUSSE : docteur ès lettres, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris
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