Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CAMPANA DINO (1885-1932)

Dino Campana est né le 20 août 1885 à Marradi, entre Florence et Ravenne. Enfant turbulent et brutal – en particulier avec sa mère –, fugueur, emprisonné une première fois à dix-huit ans, puis périodiquement admis dans divers hôpitaux psychiatriques entre deux voyages ou vagabondages et des études de chimie qui, de son propre aveu, ne lui convenaient absolument pas, amant passager de la poétesse Sibilla Aleramo, il va travailler à se forger une écriture loin des institutions littéraires de son temps. Candidement, il confie le manuscrit des Chants orphiques, son unique livre, à Soffici et Papini, qui le perdent. Il doit le récrire de mémoire et rencontre mille difficultés pour le faire imprimer à ses frais à Marradi en 1914. Émigrant en Argentine et en Uruguay, contraint d'exercer tous les métiers, réformé à l'entrée en guerre de son pays, puis suspecté de désertion, il est mis en observation à l'hôpital militaire de Florence avant d'être définitivement enfermé à l'asile d'aliénés de Castel Pulci le 28 janvier 1918. C'est là qu'il mourra sans plus écrire une ligne. Après cette date, en dépit de diverses sollicitations dans ses moments de lucidité, par exemple en 1928, lors de l'édition des Chants orphiques par Bino Binazzi – lequel aurait, dit-il, « empli le livre d'erreurs » –, celui qu'on assimile bientôt aux poètes maudits refusera toujours de revenir sur « ce petit peu d'art » employé jadis « un peu à écrire et un peu à vagabonder ».

À l'écart de toute norme, les Chants orphiques, « Tragédie du dernier Germain en Italie », dédiés à « Guillaume II, empereur des Germains », zèbrent le ciel d'une Europe d'anciens régimes désormais moribonde. L'œuvre parut trop vite, trop à l'écart des centres de décision littéraire ou autres « industries du cadavre » que Campana « vomit » (Inédits). Avant d'être lue dans sa deuxième édition, après l'enfermement de l'auteur, elle fut au moins signalée par l'ami Binazzi et éveilla l'intérêt de critiques clairvoyants tels que De Robertis, Boine, Cecchi. Tous s'accordent à lui reconnaître une ampleur de souffle antidécadent et une force « hallucinée » qui, après coup et non sans détournements de la part de la génération hermétique, frapperont ses lecteurs par l'indépendance radicale qui s'y manifeste, opposée aux tentations restauratrices du couple Pascoli-D'Annunzio. Par sa puissance de cohésion, au-delà de la variété de style, d'inspiration, de références et d'innovation formelle – entre poème en prose et chant choral, savant ou populaire –, parfois toute proche d'un futurisme inspiré qui aurait perdu sa composante belliciste, l'œuvre troublante de Campana marque profondément le passage au nouveau siècle et reste en Italie, depuis Giacomo Leopardi et avec celle de Clemente Rèbora, un exemple rare de livre poétique autonome.

Campana le vagabond, le réfractaire provocateur, a regretté avant Montale l'absence d'une expérience comparable à celle de Baudelaire, mais aussi de Nietzsche, dans une littérature exténuée par un savoir-faire mélodique rebattu. Ses carnets et cahiers, et la réécriture des Chants, témoignent de la somme de travail, parfois désespéré, dont se soutient l'équilibre extrême, l'oublieuse oscillation de rêve, la mélopée souvent incantatoire de ce texte étrange, mêlant la prose et le vers sans souci de commentaire ni de créer une alternance narrative aux plongées verticales d'un lyrisme éperdu. L'effet de mémoire par lequel La Nuit nous fait pénétrer dans cet édifice de signes « barbare et mystique » est orphiquement, hors du temps, « souvenir de rien » – et pourtant « si fort en moi » précisera Campana. D'emblée, le « je » omniprésent se[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par , , et
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    ...gravitent autour de LaVoce sans que l’on puisse les inscrire tout à fait dans le courant expressionniste. C’est le cas, sur le versant lyrique, de Dino Campana (1885-1932). Marginal de génie, idolâtré par certains de ses lecteurs, Campana se taille rapidement la réputation de poète maudit. En 1914,...
  • VASSALLI SEBASTIANO (1941-2015)

    • Écrit par
    • 852 mots

    Romancier, poète et témoin de son temps, Sebastiano Vassalli est habité par l’urgence d’expérimenter le langage afin de formuler un récit qui explicite la généalogie complexe des Italiens.

    Né à Gênes le 24 octobre 1941 (« Je suis né à Gênes comme j’aurais pu naître au Caire »), Vassalli passe...