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Dippermouth Blues, OLIVER ("King")

Comme beaucoup d'autres musiciens, Joe «King» Oliver (1884 ou 1885-1938) quitte en 1919 sa ville natale, La Nouvelle-Orléans, berceau du jazz, à la suite de la fermeture des établissements de Storyville, le quartier des bars et des boîtes de nuit. C'est à Chicago que les membres de son orchestre, le Creole Jazz Band, tous de talentueux instrumentistes également originaires de La Nouvelle-Orléans, vont perfectionner leur art de l'improvisation collective. Cette formation, emmenée par le cornettiste le plus célèbre de sa génération, est le premier orchestre de jazz noir a avoir été enregistré.

Au Lincoln Gardens de Chicago, où le groupe «casse la baraque», l'histoire est au rendez-vous : King Oliver, souffrant des dents, ne peut pas toujours assurer correctement son rôle pendant ces longues prestations, et appelle le jeune Louis Armstrong au second cornet. C'est cette formation, typique des orchestres de danse à trois instruments à vent mélodiques – cornet, clarinette et trombone – qui enregistre Dippermouth Blues à Richmond, en Virginie, le 6 avril 1923.

Auparavant, la technique d'arrangement improvisé et collectif ne pouvait intégrer de véritables chorus. Mais, dans cet enregistrement, on peut entendre, malgré une balance qui ne met pas en valeur les deux cornets, les instruments solistes qui sortent tour à tour de la masse orchestrale occupée à jouer la polyphonie spontanée et joyeuse, héritière des fanfares. Selon certains témoignages, les deux cornettistes furent obligés de s'éloigner du micro pour ne pas couvrir les autres instruments.

L'introduction de quatre mesures où les deux cornets jouent un accord diminué est suivie de neuf variations sur une grille d'accords de blues de douze mesures. Dans ce morceau, on entend l'intervention soliste de King Oliver. Il s'agit d'une improvisation mélodique où le cornet est rendu plus expressif – il rappelle la voix humaine – par l'emploi d'une sourdine et peut-être également d'un bol de métal ou de caoutchouc.

Alors que le jazz New Orleans se caractérise par un rythme binaire à 2/2 inspiré du two step, on perçoit dans cet enregistrement une mesure à quatre temps rapide où l'after beat serait accentué, en particulier par le banjo. Cependant, le break final du cycle est caractérisé par un rythme de polka (trois noires puis un soupir). Les temps, marqués par le piano et le banjo, sont enrobés par une ligne de basse d'une étonnante modernité, peut-être jouée par Lil Hardin (Lilian Hardin, 1898-1971), arrangeur du groupe et future MmeLouis Armstrong.

Le batteur Baby Dodds s'était vu interdire l'utilisation de la grosse caisse du fait de la limitation des moyens de captation de l'époque, qui acceptaient mal les transitoires et les sons graves. La contrebasse est absente pour les mêmes raisons. Le batteur en est donc réduit à jouer des wood blocks – un héritage de la musique créole et du cake-walk –, de la cymbale et de la caisse claire sans timbre. Légèrement éméché, il oublie de remplir un petit break qui lui était réservé en fin de cycle.

Le contrebassiste du groupe et occasionnellement banjoïste, Bill Johnson, qui ne joue probablement pas dans cet enregistrement, crie la phrase devenue célèbre pour remplir le silence : «Oh' Play That Thing !».

La partie de banjo à six cordes doit être l'œuvre d'un musicien additionnel, Bud Scott, même si celui-ci est rarement cité dans les crédits.

Dippermouth Blues (ou Dipper Mouth Blues) et son swing naissant est un disque qui s'est bien vendu à l'époque. Les interprétations sur l'origine du titre varient. Il est, pour certains auteurs, issu de Keep Your Eye On The Dippermouth, un blues que chantaient les esclaves noirs en fuite vers le Nord (Big Dipper est le nom américain des sept étoiles les plus brillantes de la[...]

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Écrit par

  • : compositeur, auteur, musicologue et designer sonore