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DISCOURS SUR L'ORIGINE ET LES FONDEMENTS DE L'INÉGALITÉ PARMI LES HOMMES (J.-J. Rousseau) Fiche de lecture

Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Jacques Rousseau

Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, de Jean-Jacques Rousseau, est une œuvre de circonstance, qui donne l'occasion au philosophe de Genève de développer l'intuition du « système » entrevu lors de « l'illumination de Vincennes », d'où naquit le premier discours, Discours sur les sciences et les arts (1750). À la question de l'Académie de Dijon, « Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ? », Rousseau répond sans s'embarrasser de précautions à l'endroit des académiciens, qui jugeront la pièce irrecevable : « Elle n'a pas été achevée de lire à cause de sa longueur et de sa mauvaise tradition. » L'œuvre, véhémente, dérangea jusqu'aux philosophes, à commencer par Voltaire qui annotera rageusement son exemplaire du Discours. C'est que le texte de Rousseau, en cela révolutionnaire, laïcise la question de la « chute » en lui assignant une cause sociale : l'inégalité n'est pas dans la nature.

De la nature à la société

Après un « triple portique » (J. Starobinski), la dédicace aux Genevois – mais le « citoyen de Genève » écrit à Chambéry –, une préface et un avertissement sur les notes, le Discours se déploie en deux parties de longueur égale. La première propose un tableau de l'« hypothétique » état de nature, la seconde une reconstitution narrative de la naissance de la société, donc de l'inégalité parmi les hommes : « tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d'événements et de connaissances, dans leur ordre le plus naturel ». Aussi rigoureuse que soit la structure du Discours, les dix-neuf notes qui jalonnent le texte constituent une masse textuelle aussi importante que chacune des parties. Rousseau contraint ainsi à une lecture en profondeur, moins buissonnière qu'il n'y invite avec une fausse désinvolture dans son « Avertissement ». En fait, certaines notes contiennent, outre l'énoncé synthétique des thèses rousseauistes –  « les hommes sont méchants [...] ; cependant l'homme est naturellement bon » –, les attaques les plus vives à l'endroit des philosophes, pour lesquels « les hommes sont partout les mêmes », (note X) ou des missionnaires (note XVI).

Point n'est besoin pourtant des notes pour prendre la mesure de la radicalité du propos. La première partie du Discours, Rousseau y insiste, développe une hypothèse : « Commençons par écarter tous les faits. » Mais la description de l'état de nature, dominée par le présent et l'hypotypose ( « je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres [...]. Je le vois se rassasiant sous un chêne... »), acquiert une charge de réalité telle que l'hypothèse devient provocatrice. L'homme, ainsi « dépouill[é] [...] de tous les dons surnaturels qu'il a pu recevoir et de toutes les facultés artificielles », est un animal, que caractérise pourtant un don d'imitation et surtout la « perfectibilité ». Cet homme sauvage, « dispersé » parmi les animaux et limité à la seule sensation, subvient seul à ses besoins auxquels pourvoit la nature ; son être physique détermine son être moral. La terre appartient à tous : point d'agriculture, point de propriété, point de langue. Point de passion, point d'amour, point de fidélité : « toute femme est bonne pour lui ». Dans l'état de nature, l'inégalité est « à peine sensible » : c'est que le caractère perfectible de l'homme le pousse naturellement à la comparaison. La sortie de l'état de nature est ainsi due au « concours fortuit de plusieurs causes étrangères », dont les conséquences seront pourtant inéluctables et fatales.

La[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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