DIVINATION
Article modifié le
Le statut du devin et les techniques de l'écriture
Savant intermédiaire entre les connaissances « inférieures » de l'humanité et les puissances « supérieures » de la divinité, le devin traditionnel fait porter son interrogation sur toutes les formes possibles de la présence du sacré dans les messages déchiffrables de l'univers. Aussi, dans les grandes civilisations antiques, la divination et le personnel divinatoire dépendent-ils du pouvoir royal et se rattachent-ils aux traditions sacerdotales. Les devins spécialisés, même s'ils n'étaient pas toujours considérés comme membres du clergé, demeuraient attachés au service de la royauté. Aux Indes, le chapelain royal (purohita), prêtre-brahmane, spécialiste de la science des signes, conseillait la monarchie. En Chine, la charge de devin par l'écaille de tortue constituait une dignité héréditaire de la cour impériale, la divination étant pratiquée au nom du roi. En Mésopotamie, selon les archives de Mari, le devin participait aux opérations militaires qui tenaient compte de ses présages dans la mesure où ils exprimaient les desseins des divinités tutélaires.
Recueillir et déchiffrer les signes
Techniquement, la consultation divinatoire impliquait, dans la plupart des cas, une récitation de prières ou de formules adressées aux dieux ou aux génies qui pouvaient favoriser l'observation, la recherche et l'interprétation des signes, selon un code traditionnel. L'importance attachée à l' écriture par les civilisations mésopotamiennes explique assez clairement la formation d'un système déchiffrable de l'univers dans lequel tout ordre, en principe, répondait à une cohérence des signes entre eux, à des messages analogiques qui pouvaient être lus et, par là, découverts et compris par le devin, selon des méthodes éprouvées par l'expérience des scribes chargés de conserver « les paroles sacrées des dieux ». L'origine divine des signes du présage est bien attestée dans la littérature akkadien ne. C'est le dieu Shamash qui donne à lire les messages qu'il écrit sur le foie du mouton. À l'époque néo-babylonienne et séleucide, l'idéogramme qui désignait le « prêtre » fut utilisé à la place de la graphie traditionnelle du nom du « scribe ». Ces scribes étaient les descendants des anciens exorcistes, et, comme les lettrés babyloniens depuis cette époque, ils étaient attachés aux temples. De même, dans l'Égypte hellénisée, les devins spécialisés étaient, le plus souvent, des interprètes de la littérature mystico-magique attribuée à Hermès Trismégiste et comptaient parmi eux des scribes d'Alexandrie.
À l'origine de l'esprit scientifique
Comme elle l'a fait dans la formation des alphabets et des écritures, chaque civilisation antique a élaboré son propre système de signes divinatoires en fonction d'une culture donnée. Ces indices, permettant de classer et d'ordonner les faits observés, constituèrent les premiers moyens du développement de l'esprit scientifique. À l'occasion de la XIVe rencontre assyriologique internationale, L. Oppenheim, s'appuyant sur les textes de la littérature astrologique babylonienne, pensa pouvoir affirmer que le « devin-examinateur » était un savant et la divination inductive et raisonnée une science. Au moins est-on en droit de constater que la recherche systématique d'un ordre récurrent dans les événements naturels, même s'il ne répond point à notre logique scientifique, a contribué à substituer la réflexion sur le langage divinatoire à une accumulation d'observations empiriques sans relations mutuelles.
L'extension quantitative du matériel de références écrites nécessaires à la consultation du devin néo-assyrien peut donner quelque aperçu de l'importance de ces collections de documents. Le principal recueil sur la divination, le Bârutu, était composé de dix parties dont chacune comportait une dizaine de tablettes sur lesquelles étaient écrits, en moyenne, un millier de présages, à raison d'une centaine pour chaque tablette. L'ensemble constituait ainsi une somme divinatoire qui ne comptait pas moins de dix mille sentences. On imagine aisément les difficultés de transport d'une telle collection. Aussi en avait-on extrait des morceaux choisis, adaptés à l'apprentissage des élèves à l'usage des devins itinérants qui accompagnaient les armées.
L'écriture des dieux et celle des hommes
Les remarquables recherches archéologiques de M. Jean Nougayrol sur la divination babylonienne ont précisé récemment l'ampleur, l'échelonnement, la complexité et l'extrême diversité de cette documentation cunéiforme. Elle montre quelle place capitale les techniques divinatoires ont tenu pendant plus de vingt siècles dans la civilisation mésopotamienne. M. Nougayrol a souligné, en particulier, les rapports étroits de l'écriture avec les systèmes de signes divinatoires. « Les Mésopotamiens, dit-il, n'ont jamais cessé d'être frappés par l'importance décisive que l'écriture avait eue pour le développement de leur culture et son rayonnement. Ils jugeaient sans doute que les dieux, intelligences suprêmes, devaient disposer, de leur côté, d'une écriture à leur échelle quand ils souhaitaient communiquer leurs décisions aux hommes. La tablette divine ne pouvait être que la création dans son ensemble et, plus particulièrement à partir d'une certaine époque, le ciel constellé, tandis que le dieu-Soleil, pour sa part, continuait d'inscrire ses volontés « dans le ventre du mouton ».
Cependant, la lecture du signe divinatoire n'était jamais abandonnée aux caprices de l'interprétation individuelle ni subordonnée à des correspondances symboliques d'ordre général dispensant le devin mésopotamien de recourir à la consultation des anciens présages. « Le fait de base, observe M. Nougayrol, est la sentence traditionnelle [...]. Rien, absolument rien, ne dispense de connaître la tradition, c'est-à-dire l'« expérience antérieure ». Ce caractère fondamental de la divination inductive dans les sociétés de type traditionnel implique ainsi non seulement un apprentissage mais aussi une initiation à la lecture des textes de référence grâce à des commentaires oraux. Comme ces derniers n'ont pas été conservés par la tradition écrite, il est difficile de préciser le sens des termes techniques dont les spécialistes ne pouvaient se passer pour décrire, par exemple, l'anatomie superficielle d'un foie de mouton ou certains phénomènes célestes. À ces lacunes s'ajoute, en Mésopotamie, l'absence à peu près complète de représentations figurées de l'acte divinatoire et même d'instruments identifiables de façon certaine. L'iconographie assyro-babylonienne compte peu d'images de la vie quotidienne, à l'exception de scènes guerrières, et la divination ne figure pas dans celles qui ont été découvertes.
Intuition et induction
Il importe, au moins, de souligner que la divination inductive et méthodique l'a emporté de beaucoup chez les Babyloniens sur la divination intuitive et inspirée, si fréquente, au contraire, en d'autres civilisations.
On constate le même fait dans la civilisation chinoise ancienne où le développement des techniques divinatoires raisonnées et artificielles forme un contraste assez évident avec une indifférence générale à l'égard du prophétisme. M. Granet a rappelé justement qu'en Chine, « le Souverain d'en haut, création savante de la mythologie politique, n'a qu'une existence littéraire... ». Le sentiment du sacré a joué, dans la vie chinoise, un grand rôle mais les objets de la vénération n'y étaient point les dieux. C'étaient, pour les confucéistes et pour les taoïstes, les sages et les saints, pour le peuple, les savants, les inventeurs et les chefs. La mythologie chinoise, comme la mythologie babylonienne, est essentiellement héroïque. On voit ainsi pourquoi les personnages du héros et du prophète reflètent une contradiction et une complémentarité que l'on retrouve, à d'autres niveaux, entre des civilisations sédentaires, fondées sur le sentiment permanent d'une harmonie préétablie entre l'ordre social et l'ordre cosmologique, et des civilisations nomades, où le sens du sacré exigeait une quête perpétuelle des messages divins et de leurs révélations mystérieuses. Les techniques divinatoires impliquent ainsi un choix décisif entre l'Écriture et la Parole. Selon qu'elles sont principalement inductives ou intuitives, elles contribuent à faire mieux connaître les structures logiques et les vocations diverses des grandes civilisations antiques. Dans l'expression même de leur attitude à l'égard des énigmes de leur destinée, ces civilisations révèlent l'essentiel de leur culture et des mythes qui répondent à leurs désirs et à leurs besoins collectifs les plus constants et les plus profonds.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- René ALLEAU : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil
Classification
Autres références
-
AMÉRIQUE LATINE - Les religions afro-américaines
- Écrit par Roger BASTIDE
- 3 176 mots
- 1 média
...religion yoruba qui domine. Peut-être cependant a-t-elle conservé plus qu'au Brésil la mémoire des mythes ; surtout, les babalaô ont maintenu, à côté de la divination par des coquillages, la divination par des noix coupées en deux, qui est celle des babalaô africains. Mais, outre cette religion yoruba, appelée... -
ASSYRO-BABYLONIENNE RELIGION
- Écrit par René LARGEMENT
- 4 272 mots
- 5 médias
Pour lutter contre les éventualités mauvaises, il faut d'abord les prévoir. N'est pas devin qui veut ; il lui faut appartenir à la lignée de l'un ou l'autre des devins antiques et ses ascendants doivent être demeurés purs. Personnellement, il doit être accompli en forme et en proportions, se soumettre... -
ASTROLOGIE
- Écrit par Jacques HALBRONN
- 13 315 mots
...calendrier comportant les noms des saints et les phases de la lune. Chez Nostradamus, au milieu du xvie siècle, chaque mois est marqué d'un quatrain. La pronostication étudie la météorologie, saison par saison, mois par mois, mais elle comporte aussi une étude d'un certain nombre de pays ou de monarques... -
CHAMANISME
- Écrit par Roberte Nicole HAMAYON
- 4 980 mots
- 1 média
...perdus, chance en amour, au jeu, en affaires, aux examens (comme nos voyantes), succès aux élections (dans les réserves indiennes d'Amérique du Nord) ; l'aspect divinatoire de l'action chamanique ne consiste pas à savoir l'avenir, mais à rendre conforme à la norme ou passible de traitement. La nature... - Afficher les 36 références
Voir aussi
- SCIENCES TRADITIONNELLES
- ZODIAQUE
- CHALDÉENS
- MAISONS, astrologie
- HARUSPICINE
- EXTISPICINE
- TRANSE
- GÉOMANCIE
- BÂRUTU
- ASPECT, astrologie
- FOIE SYMBOLISME DU
- DÉLIRE
- MANTIQUE
- FERTILITÉ & FÉCONDITÉ RITES & DIVINITÉS DE LA
- SORT
- DEVIN
- ONIROMANCIE
- THÈME, astrologie
- PLANÈTES, astrologie
- ASCENDANT, astrologie
- HOROSCOPE
- CHTHONIENNES DIVINITÉS
- VOYANCE
- PRÉSAGE
- CHINOISE PENSÉE
- SCRIBES, Orient ancien