TRAVAIL DIVISION DU
Platon est un des premiers philosophes à avoir remarqué qu'« on fait plus et mieux et plus aisément, lorsque chacun ne fait qu'une chose, celle à laquelle il est propre » (La République). Sur ce point, philosophes, économistes, sociologues et anthropologues semblent s'accorder. Il n'est guère de sociétés, aussi restreintes soient-elles, qui ne connaissent une division des tâches. À commencer par les sociétés animales. Chez les abeilles, par exemple, les ouvrières changent de travail à mesure qu'elles avancent en âge et elles participent ainsi à tous les travaux de la ruche (construction de rayons, nourrissage, nettoyage, récolte...). Dans les sociétés humaines, la division du travail adopte des formes différentes : il y a des tâches réservées à l'un ou à l'autre sexe d'abord (la femme élève les enfants, l'homme leur procure des moyens de subsistance), puis des fonctions qui peuvent être économiques, politiques, administratives, judiciaires, artistiques, scientifiques, chacune de ces sphères d'activité se trouvant à son tour divisée en de nombreuses autres spécialités. Pour cette raison, ce qui était courant avant le xviiie siècle n'est plus possible aujourd'hui : un savant doit se spécialiser et restreindre ses recherches le plus souvent à un unique problème.
Adam Smith, le fondateur de la science économique, écrit en 1776 dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations : « Dans chaque art, la division du travail, aussi loin qu'elle peut y être portée, donne lieu à un accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail. » Il appuie sa démonstration sur l'exemple, devenu célèbre, de la manufacture d'épingles : si deux ouvriers employés à la fabrication des épingles travaillaient chacun de son côté, ils ne produiraient pas plus de vingt épingles par jour ; en se partageant les tâches, ils peuvent en fabriquer, dans le même temps, quarante-huit mille. Cependant, si la parcellarisation des tâches augmente indéniablement la productivité d'une manufacture, elle présente pour l'ouvrier l'inconvénient de le soumettre à une « déculturation » technique. Tandis que l'ouvrier de jadis créait véritablement un objet et y inscrivait sa propre empreinte, l'ouvrier qui travaille dans une manufacture est chargé d'un tronçon de la production et le produit fini lui échappe.
Karl Marx dans Le Capital fait remarquer que la division du travail représente un « rabougrissement de corps et d'esprit », une aliénation pour l'ouvrier. Mais il va plus loin et il distingue dans la division du travail une forme « sociale » et une forme « manufacturière ». La première a une base naturelle : la diversité des sols dans la zone tempérée. La seconde tient à la séparation de la ville et de la campagne. Pour que naisse la manufacture, il a fallu que la division sociale parvienne à un certain degré de développement. Inversement, la division manufacturière amplifie la division sociale. Mais si la division du travail est indispensable à la fabrication de marchandises, il reste que les sociétés primitives connaissent une division du travail qui n'a pas pour aboutissement la production de marchandises. De ces constatations Marx tirera la théorie de la plus-value et celle du conflit entre les forces productives et les rapports de production. La grande industrie bouleverse constamment les techniques de production, le travail des ouvriers et l'organisation du travail. Elle renforce ainsi ces rapports conflictuels qui, selon Marx, devaient amener la destruction de la société capitaliste.
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Écrit par
- B. BREVAN : assistant de cours à l'université de Paris-V-René-Descartes
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Média
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