DĪWĀN, Hafiz de Chiraz Fiche de lecture
« La langue du mystère »
Mais Hāfiz n'est pas seulement « celui qui connaît le Coran par cœur » (ce que signifie son surnom) : il possède parfaitement la tradition littéraire qui l'a précédé et ce langage allusif qu'elle a intégré de longue date. Il peut donc user de celui-ci comme d'un code pour s'adresser à un protecteur ou à un ami avec lequel il partage une affinité de pensée et de sentiment. Le vin y serait alors symbole de liberté intérieure. Ce ton, qui apparaît dans les poèmes plus tardifs, du temps de la disgrâce, est peut-être aussi un artifice destiné à masquer ses attaques contre les docteurs de la loi, les faux dévots, les ordres soufis, la police chargée de la surveillance des mœurs, toutes les formes d'hypocrisie.
La langue persane entretient l'ambiguïté : dans le même mot on peut lire l'aimé(e) ou l'ami(e) en ce monde, ou encore l'Aimé, soit Dieu, voire le prince ou le mécène – encore que Hāfiz, qui introduisit le panégyrique dans le ghazal, se soit montré modéré dans cet exercice : « Échanson, fais briller la coupe à la lueur de notre vin !/ Chante-nous des airs, musicien, qui correspondent à nos goûts !/ Le visage du Bien-Aimé se reflète dans le hanap :/ C'est ce qui nous donne, ô profane, le bonheur de boire toujours./ Il est tant de beautés coquettes, de tailles souples de cyprès,/ Qui encouragent notre Ami à manifester sa splendeur./ Le pain licite des bigots ne vaudra pas, j'en ai bien peur,/ Au jour du Jugement dernier, plus que notre infâme liqueur. »
Ces lectures font la difficulté de la traduction mais aussi le charme de Hāfiz, encore appelé « la langue du mystère » ; chacune trouve son destinataire, et l'œuvre, ouverte au hasard, est d'ailleurs utilisée comme moyen de divination en Iran. Hāfiz porta le langage poétique à un degré tel qu'il ne fut jamais égalé. Révéré en Orient, il l'est aussi en Occident où, d'abord mentionné par Pietro della Valle en 1650, il grandit en célébrité grâce aux travaux d'orientalistes autrichiens, anglais et allemands. Son influence toucha Goethe et Nietzsche.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marina GAILLARD : chercheur, membre de l'U.M.R. Monde iranien du C.N.R.S., Paris
Classification
Autres références
-
ḤĀFIẒ DE CHĪRĀZ (1320 env.-env. 1389)
- Écrit par Mohammad Hassan REZVANIAN
- 1 273 mots
Reconnaissons que si, dans une partie de l'œuvre de Ḥāfiẓ, le sens des mots est toujours clair et univoque, une autre partie du Dīvān est difficilement compréhensible pour un lecteur profane en raison de l'inspiration symbolique de l'auteur.