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DJĀḤIẒ ou ĞĀḤIẒ (776-868)

Théologie et polémique

La littérature arabe médiévale ne se saisit pas sans la connaissance d'un réseau de facteurs idéologiques et socio-politiques, dont les influences sont difficiles sinon à déterminer du moins à démêler dans leur importance relative. La dynastie ‘abbāside (750-1258) encourage une élaboration dogmatique vigoureuse et voit, de ce fait, se développer des doctrines fermement antagonistes. On ne saurait dissocier le terme politique de ses corrélatifs théologiques et socio-culturels, qui constituent le substrat de la polémique. Il ne s'agit là que d'un affleurement ultime d'attitudes actualisant des tendances profondes.

Le théologien mu‘tazilite

Élève d'an-Naẓẓām, Djāḥiẓ est le maître d'un groupe baṣrien de la septième classe des mu‘tazilites. Les rares fragments dont on dispose ici – notations contenues dans des ouvrages d'hérésiographie, glanes diverses – devraient être confrontés et réintégrés dans le contexte philosophico-dogmatique, pour reconstituer un ensemble.

Djāḥiẓ a dû rédiger une demi-douzaine d'opuscules où il exposait les arguments de la mission prophétique, abordait le problème de la connaissance et celui, fondamental, de la création du Coran. Ici ou dans ses attaques contre les anthropomorphistes (mušabbiha) et les ǧahmiyya, on ne peut lui reconnaître une pensée originale. Il s'est, la plupart du temps, rallié aux vues d'an-Naẓẓām sur plusieurs points de doctrine : perfection et justice de Dieu, définition de l'être comme étant le connu, rapports de la loi et de la foi, connaissance sensible et connaissance spéculative, etc.

Le Livre des animaux, gigantesque compilation zoologique, étudie l'aspect, le comportement et la reproduction des animaux, même fabuleux, et reste fondamentalement apologétique. Il faut prouver que tout concourt, dans la création, à un dessein général dont Dieu connaît seul le secret. La nature n'a de sens que si elle provoque une réflexion propre à percevoir le finalisme universel. Les théories de l'auteur sur l'instinct et l'évolution des espèces l'illustrent. Il utilise et critique à la fois l'Historia animalium d'Aristote ; ses principales sources (outre l'observation directe) sont constituées par la littérature animalière arabe, surtout poétique.

Le propagandiste politique

Conseiller et théoricien du clan au pouvoir, Djāḥiẓ va prendre parti et mener une campagne légitimiste. Il confère ainsi à la prose une fonction jusque-là réservée à la poésie. Dans la communauté musulmane, très vite divisée en sectes, naissent des mouvements de pensée qui recèlent tous des aspirations politiques. Aussi la question de l' imāmat – direction spirituelle et temporelle de la communauté – est-elle au centre des préoccupations. Il nous est resté des fragments plus ou moins importants des écrits de Djāḥiẓ sur ce sujet, parfois altérés mais suffisants pour connaître sa pensée.

Il réfute les thèses du parti le plus menaçant, celui des ši‘ites, défenseurs de ‘Alī quatrième calife orthodoxe, tour à tour et à différentes époques alliés ou ennemis de la dynastie. Il entreprend systématiquement de détruire le mythe de ‘Alī, de rejeter la prééminence de celui-ci et de dénoncer les arguments qui la fondent pour établir les droits des trois premiers califes à la succession du Prophète.

De la même façon, il s'en prend aux Umayyades dont les mu‘tazilites réclament vainement la condamnation publique. Le culte rendu au fondateur de la dynastie précédente concrétise, en ce début du iiie siècle, une forme nouvelle de l'opposition des traditionnistes d'obédience sunnite. Ceux-ci, pour lutter contre l'influence des rationalistes au pouvoir, usent des modes de leur dialectique et cherchent, au plan tactique, à provoquer la colère populaire[...]

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  • ARABE (MONDE) - Littérature

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    ...nature ni de vocation, même dans ses moments les plus prestigieux. Sans se confiner dans les préoccupations circonstancielles des premiers prosateurs, Ǧāḥiẓ, qui est considéré, à juste titre, comme le plus puissant prosateur de la littérature arabe, et qui sut élever la prose au plus haut degré de l'éloquence,...