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DJĀḤIẒ ou ĞĀḤIẒ (776-868)

Défense et illustration d'une culture

L'adab

Si le rôle de théoricien et de polémiste a pu être considéré, du vivant de Djāḥiẓ, comme une part essentielle de son activité, c'est surtout son œuvre proprement littéraire que la postérité a retenue. Il s'agit de ce qu'il est convenu d'appeler la littérature d'adab, notion assez vague qui ressortit en fin de compte plus aux modes de constitution d'une culture qu'aux lois d'un genre ou aux procédés d'une écriture. En bref, à partir de présupposés d'éthique et de pratique sociale, un ensemble culturel regroupe d'une part des éléments de connaissance nécessaires à un homme cultivé – adīb – et propose, d'autre part, les moyens propres à former son esprit et développer son sens critique. La possession des notions les plus diverses – poésie, histoire, géographie, traditions, etc. – ne va jamais jusqu'à la spécialisation excessive. Cette connaissance, qui prend de tout un peu et le meilleur, marquée au coin d'un dilettantisme éclectique, doit s'adapter à une conversation pleine d'esprit. Les modes mêmes de diffusion de cette culture vont dicter ces œuvres si curieuses, niant toute notion d'organisation textuelle. Elles ne se veulent pas porteuses d'une volonté de création et de découverte, mais se conçoivent comme reflet et confirmation de ce qui existe ; à côté des ouvrages d'érudition, elles sont le commentaire intelligent, concis et surtout libre ; sans projet qui les détermine, elles se présentent en une démarche de quête critique ; mêlant tous les sujets par souci d'élégance, impuissantes à se discipliner mais ne se renouvelant que dans le chatoiement d'une diversité proliférante, elles sont le fruit d'un raffinement fuyant l'austérité de la rigueur.

À cette conception de l'art littéraire, Djāḥiẓ a donné ses lettres de noblesse en trois de ses ouvrages principaux : l'un, Kitāb al-Bayān wa-t-Tabyīn, traite de rhétorique ; l'autre, le Livre du rond et du carré (Kitāb at-Tarbī ‘wa-t-Tadwīr), se présente comme une étude étourdissante d'humour des grands problèmes de l'époque ; le dernier, Le Livre des avares (Kitāb al-Buẖalā') inaugure un genre qui n'aura guère d'écrivains à sa mesure par la suite.

Influences et pensée originale

Le Bayān est un traité de rhétorique, art fondamental comme la poésie. Djāḥiẓ y présente une défense et illustration des fondements arabes de la culture, et veut y démontrer que la science arabe du verbe est inimitable et insupérable. Il lutte encore contre l'influence des šu‘ūbites persans en la personne de leurs représentants les plus brillants, les scribes de la haute administration. De cette longue suite de commentaires d'ordre stylistique, phonétique, dialectologique et gestuel, entrecoupée de morceaux d'éloquence et de poésies, il est possible d'extraire les éléments d'une théorie critique de la littérature englobant, outre l'art oratoire, la poésie et l'art épistolaire. Par la suite et pendant longtemps, les critiques feront appel, ici et là, à certains de ces textes.

Ce souci constant de préserver l'homogénéité des humanités arabes n'a pas éloigné Djāḥiẓ de tout contact avec la pensée étrangère. La logique grecque a exercé sur lui une influence décisive : elle fonde sa détermination de soumettre la connaissance à l'exercice de la raison. Il admira les épîtres et discours persans, les maximes et livres de sagesse hindous ; il avait d'ailleurs une certaine connaissance de la langue persane. Mais il estime que d'aussi grands chefs-d'œuvre que le Kalīla et Dimna, traduit du Pantchatandra, s'ils enrichissent la culture arabe, ne sauraient la constituer et surtout prétendre substituer[...]

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  • ARABE (MONDE) - Littérature

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    ...nature ni de vocation, même dans ses moments les plus prestigieux. Sans se confiner dans les préoccupations circonstancielles des premiers prosateurs, Ǧāḥiẓ, qui est considéré, à juste titre, comme le plus puissant prosateur de la littérature arabe, et qui sut élever la prose au plus haut degré de l'éloquence,...