TATAH DJAMEL (1959- )
Le peintre Djamel Tatah est né à Saint-Chamond (Loire) en 1959. Il est passé par l'École des beaux-arts de Saint-Étienne de 1981 à 1986 et a connu sa première exposition personnelle à la galerie Art actuel de Toulouse en 1989. Sa brillante carrière au fil des années 1990 est révélatrice du regain d'intérêt porté à une figuration dénuée de toute nostalgie, qui s'inscrit résolument dans le champ des avant-gardes abstraites du xxe siècle et en propose une relecture critique. Peintre de visages et de figures frappant le spectateur d'émotion, Tatah sait aussi inscrire son ambition plastique dans le champ, conflictuel, de l'art actuel. Djamel Tatah a très rapidement inventé un style et une technique personnels mis au service d'une œuvre qui se laisse malaisément diviser en périodes distinctes, même si l'on peut y remarquer de grands ensembles thématiques. Dans ses premiers portraits ou autoportraits (1986-1989), les visages en gros plan se détachent avec violence sur des fonds monochromes. Ensuite, principalement à partir de la série des enfants peints en 1991, ce sont le plus souvent des personnages entiers, au regard éteint, pesant de toute leur masse sombre dans l'espace de la toile.
Dès le début des années 1990, la puissance de ces figures s'est imposée à l'évidence, malgré le refus de l'artiste de doter les visages ou les attitudes d'une tonalité d'expression particulière. Cette force tient au choix du grand format, à la simplicité des contours comme à la quasi-monochromie des corps, à la stature des personnages le plus souvent immobiles au sein d'un espace privé de repères familiers. Chaque tableau naît d'un cliché qui représente des personnes amies dans des poses très étudiées. Cette photographie est ensuite retouchée par ordinateur et composée avec d'autres de manière à devenir une figure métamorphosée, hybride, à distance de toute réalité singulière. Après avoir projeté sur la toile le contour ainsi obtenu, Tatah peint son tableau, à l'huile et à la cire, en évitant de faire du personnage un stéréotype ou une référence allégorique ou symbolique au monde contemporain. Dans tous ces portraits, l'appellation Sans titre, choisie par l'artiste, intensifie l'étrange présence des ces figures existant dans le champ du tableau, sans justification aucune.
D'une dimension grandeur nature, les enfants ou les adultes peints par Tatah se ressemblent tous : bouche fermée, regard morne, vêtements sombres et massifs, lourdeur de la silhouette, et absence de tout geste de relation avec les figures environnantes. Tatah choisit la mise en évidence d'une figure mais renonce à toute histoire, à tout contenu narratif et refuse de suggérer le moindre lien entre ses personnages et le monde environnant. Chacun est enfermé dans son propre espace, dans son monde de solitude intérieure et, parfois, la reproduction de la même silhouette pour dessiner plusieurs figures – dans la série des Femmes d'Alger, 1996 – ne fait qu'accentuer cet isolement existentiel plus tragique que pathétique.
Un sentiment de malaise est provoqué chez le spectateur, et il est encore redoublé par le fait que les pieds des personnages et le sol sur lequel ils pèsent de tout leur poids sont coupés, ce qui produit l'impression d'un flottement généralisé de la figure, d'un éloignement par rapport au monde réel. Loin d'être simple, familière, rassurante, la figure humaine est ainsi un surgissement étrange qui s'impose avec une violence analogue à celle des formes abstraites verticales affirmées dans les tableaux du peintre américain Barnett Newman. L'art de Tatah évoque à la fois la crudité de l'action painting américaine des années 1950 et telle photographie de la longue série d'August Sander : Die Menschen des[...]
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
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