DOUDAEV DJOKHAR (1944-1996)
Père de l'indépendance de la Tchétchénie en 1991, celui qui se faisait appeler le « loup tchétchène » n'aura pas assisté à la débâcle de l'armée russe, ni à la signature d'un accord de paix à l'automne de 1996.
Le destin de Djokhar Doudaev se confond avec la tragédie de son peuple. Accusés d'avoir collaboré avec l'occupant nazi, plusieurs peuples du Caucase et de la Russie méridionale sont déportés sur ordre de Staline. En février 1944, tous les Tchétchènes, comme leurs voisins ingouches, sont ainsi envoyés en Sibérie en moins de quarante-huit heures ; Djokhar Doudaev, cadet d'une famille de sept enfants, n'est alors âgé que d'un mois.
À treize ans, Djokhar Doudaev rentre à Grozny, capitale de la Tchétchénie qui fait alors partie de la république socialiste soviétique des Tchétchènes-Ingouches. En 1962, il part étudier à l'école militaire des pilotes de Tambov. Jeune officier, il sert en Sibérie puis devient un héros de la guerre d'Afghanistan. Il se fait remarquer en 1990, lorsque, commandant d'une des divisions de bombardiers stratégiques de l'aviation soviétique basée en Estonie, il laisse déployer, lors d'une parade aérienne, le drapeau des indépendantistes estoniens.
Le prestigieux général soviétique, voyant l'empire se fissurer, retourne en Tchétchénie se battre pour « la liberté ou la mort ». L'homme à la fine moustache, au borsalino noir et au pistolet à la ceinture, lié à la puissante mafia tchétchène de Moscou, utilise le putsch des communistes conservateurs d'août 1991 comme tremplin. Avec la bénédiction de Boris Eltsine, il chasse le chef local conservateur du Parti communiste et se fait élire triomphalement (85 p. 100 des voix) président de la République autonome tchétchène le 27 octobre 1991. Le 1er novembre, il proclame unilatéralement l'indépendance de la Tchétchénie.
Fort de la russophobie de ce petit peuple caucasien qui ne s'est soumis qu'au milieu du xixe siècle à Moscou et de ses ressources pétrolières, Djokhar Doudaev se rend, aux commandes de son avion personnel, dans de nombreuses capitales occidentales et arabes, atterrissant même dans Sarajevo en guerre.
Hâbleur, il n'hésite pas à déclarer qu'il déclenchera la troisième guerre mondiale et déchaînera le feu nucléaire sur la Russie. Pourtant, l'homme, marié à une Russe malgré les traditions locales qui répugnent au mariage mixte, pratiquant la foi musulmane occasionnellement, est aussi un pragmatique.
Au printemps de 1994, il déjoue les tentatives de son opposition soutenue par Moscou. Devant le risque d'une intervention massive de l'armée russe, il multiplie les provocations verbales mais évite de couper les ponts avec Moscou tout en organisant la résistance. La veille de l'intervention russe du 11 décembre 1994, il déclarait : « L'indépendance est une notion relative. »
Alors que Grozny est écrasée par les bombes, il résiste dans son palais présidentiel puis réussit à s'enfuir dans les montagnes du sud du pays. Pendant que l'armée russe s'enlise, il organise la guérilla avec ses lieutenants, qui sont parfois plus populaires que lui, comme Aslan Makhadov, le chef d'état-major tchétchène, ou le commandant Chamil Bassaev, auteur d'une retentissante prise d'otages en juin 1995.
Réfugié dans son fief méridional de Gekhi-Tchou, il continue à négocier avec l'armée russe en avril 1996. Mais les jusqu'au-boutistes de Moscou, qui préparent déjà la succession de Boris Eltsine, veulent en finir avec le « loup tchétchène » et sa tanière est pulvérisée par un missile dans la nuit du 21 au 22 avril 1996. Toutefois, la mort de Djokhar Doudaev ne brisera pas la volonté d'indépendance des Tchétchènes. Six mois plus tard, après une victorieuse contre-offensive, ses lieutenants parviendront[...]
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Écrit par
- Christophe CHICLET
: docteur en histoire du
xx e siècle de l'Institut d'études politiques, Paris, journaliste, membre du comité de rédaction de la revueConfluences Méditerranée
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Autres références
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RUSSIE (Le territoire et les hommes) - La Fédération de Russie
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