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BARNES DJUNA (1892-1982)

Parodie et modernisme

Sur la scène littéraire, Djuna Barnes est pour le moins inclassable. Si elle ne se réclame d'aucune école, elle partage certaines affinités avec les auteurs du mouvement dit « décadent », notamment pour la perversité fin de siècle de certains de ses personnages, sans oublier la dimension symboliste de son écriture. Mais elle s'inscrit plus encore dans le courant « moderniste » de l'entre-deux-guerres, partageant avec certains de ses contemporains, comme James Joyce ou T. S. Eliot, un besoin d'expérimentation avec la langue. L'art de Djuna Barnes se distingue avant tout par le maniement du pastiche et de la parodie, par une ironie mordante, par un penchant pour le grotesque et les images insolites. Ainsi, dans Le Bois de la nuit, Robine Vote est-elle décrite comme « la vision d'un élan s'en venant dans une allée d'arbres, enguirlandé de fleurs d'oranger et d'un voile nuptial, un sabot levé dans l'économie et la crainte ». Lorsqu'il préfacera le roman, T. S. Eliot déclarera que « seules les sensibilités exercées à la poésie pourront l'apprécier tout à fait ». Mais chez Djuna Barnes, la tentation poétique va de pair avec un goût prononcé pour les aphorismes et les épigrammes, et une véritable fascination pour la langue de l'époque élisabéthaine. Dans toute son œuvre, la satire s'allie ainsi à la tragédie, les allusions bibliques et mythiques se côtoient, la langue de Shakespeare rivalise avec les néologismes.

Son chef-d'œuvre demeure incontestablement Le Bois de la nuit, paru en Angleterre en 1936, puis publié à New York l'année suivante grâce à la Préface élogieuse de T. S. Eliot, qui vantait, entre autres choses, « une qualité d'horreur et de fatalité apparentée de très près à la tragédie élisabéthaine ». Situé à Paris dans l'entre-deux-guerres, le roman relate l'amour prédateur de Robine Vote, qui détruit tous ceux qu'elle séduit : le « Baron », son mari, leur fils Guido, et deux femmes, dont une Américaine expatriée, Nora Flood. Le docteur renégat Matthieu O'Connor, autre personnage central du roman, scande les errances de Nora qui déambule dans Paris à la recherche de sa bien-aimée. On retrouve dans Le Bois de la nuit certaines des caractéristiques du roman moderniste : l'éclatement de la narration, l'utilisation du « courant de conscience » avec une grande part donnée à l'intériorité des personnages et partant au surgissement de l'inconscient, ou encore l'importance accordée à la ville. À l'image de l'œuvre de Djuna Barnes dans son entier, Le Bois de la nuit superpose « comédie humaine » et « divine comédie », explorant et déplaçant constamment la frontière entre les genres (au sens narratif mais également sexuel du terme), et faisant de l'auteur un écrivain de la modernité, « doué d'un pouvoir d'expression impressionnant », comme l'avait dit Graham Greene à son propos.

— Catherine ROVERA

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Écrit par

  • : docteur en littérature anglaise, maître de conférences à l'université de Paris-Dauphine

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