DOGMATISME
Au sens le plus général, « dogmatisme » est devenu le synonyme d'intransigeance, d'autoritarisme, d'étroitesse d'esprit et de raideur : il est le fait de quiconque « dogmatise », c'est-à-dire affirme sans preuve, ne tolère aucune discussion, parle d'un ton tranchant, porte des jugements péremptoires.
En philosophie, dogmatisme s'est d'abord opposé à scepticisme ou à pyrrhonisme (du nom de Pyrrhon d'Élée, le premier des grands sceptiques grecs, ~ 365-~ 275). Dans ce sens, attesté par Diogène Laërce (iiie s.), dogmatisme désigne toute doctrine selon laquelle il est possible d'aboutir à des certitudes ; le scepticisme consiste, au contraire, à professer que l'esprit humain, malgré ses ambitions spéculatives, n'a aucun moyen d'atteindre des vérités d'ordre général, de les démontrer, et doit, en conséquence, s'abstenir d'affirmer, s'abstenir de nier, se réfugier dans un doute prudent, réservé, et laisser tout jugement en suspens. Dogmatisme s'est opposé ensuite à criticisme ; ou plutôt, depuis Kant (1724-1804), la philosophie « critique » a déclaré se constituer contre le dogmatisme : il s'agissait de substituer le réveil critique au « sommeil dogmatique ». La philosophie critique s'est définie elle-même comme examen préjudiciel de la manière dont on connaît, au lieu de considérer d'emblée les objets connus ; et elle a dénommé dogmatique (en un sens péjoratif) la prétention de poser des principes ou d'en extraire des connaissances sans s'interroger au préalable sur le droit à l'affirmation, sur ses conditions de possibilité et ses limites d'exercice.
En religion, dogmatisme désigne la disposition à croire des dogmes, c'est-à-dire des vérités religieuses dont les titres de créance ne relèvent pas d'une appréciation subjective, mais d'une autorité transcendante (celle du dieu qui se révèle ; celle de la société religieuse qui confesse, proclame, atteste que la tradition dont elle vit prend ses garanties dans une objectivité sui generis, dans une expérience du sacré qu'elle regarde comme un a priori fondateur). C'est le christianisme hellénistique et, plus précisément, byzantin qui a forgé le vocabulaire d'une dogmatique de foi relative aux Écritures et aux traditions issues de la communauté apostolique. À partir du premier concile œcuménique (Nicée, 325), on a appelé « dogme » toute définition d'une croyance par voie conciliaire, c'est-à-dire délibérée et décrétée en assemblée plénière (représentant l'Église universelle), puis érigée en orthodoxie officielle, en loi d'État par un édit impérial. De nos jours, le pouvoir de l'Église catholique s'étant concentré entre les mains d'un pontife suprême et s'étant émancipé par rapport au pouvoir civil, l'apparition d'un dogme ne requiert que la promulgation par le pape (à l'occasion d'un concile ou à la suite d'une consultation de l'épiscopat). Théologiens et philosophes chrétiens se sont interrogés longuement, au début du xxe siècle, sur la nature épistémologique des dogmes chrétiens (non des vérités spéculatives obtenues par raisonnement dialectique, mais des formules mixtes — souvent de compromis — où une donnée positive, prise du texte scripturaire ou de la foi traditionnelle, reçoit une certaine élaboration rationnelle ; toutefois, l'énoncé dogmatique tire sa valeur, non pas de sa structuration logique, mais de l'assentiment de la société ecclésiale, maîtresse de ses documents et de leur interprétation). De 1893 à 1913, Maurice Blondel et Lucien Laberthonnière ont soutenu un « dogmatisme moral » : par quoi ils entendaient, en religion ainsi qu'en philosophie, une doctrine où l'accès à la certitude[...]
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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