DOMAINE MUSICAL
Le Domaine musical fut une des grandes aventures musicales du xxe siècle : cette bouillonnante association naît en 1954 de la volonté de Jean-Louis Barrault et de Pierre Boulez. Il est alors indispensable d'offrir aux jeunes compositeurs un cadre où ils puissent s'exprimer et nouer un contact avec un public qui ignore pratiquement tout des bouleversements que connaît la musique, les organisations de concerts établies, déroutées par les théories nouvelles, n'inscrivant pas ces compositeurs à leurs programmes. Le Domaine musical fera entendre en dix-neuf ans, de 1954 à 1973, plus de 450 œuvres d'une centaine de compositeurs différents.
La création des concerts du Petit Marigny
Relier l'action musicale à l'action culturelle afin de ne pas confiner la musique dans un ghetto, tel est le défi que veut relever, dans une France meurtrie par la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle génération de compositeurs nés autour de 1925. L'un d'entre eux manifeste une volonté affirmée de faire connaître la musique de son temps à un public qui ignore alors pratiquement tout de Schönberg, Berg et Webern ; il s'agit du jeune Pierre Boulez, né en 1925.
Selon Boulez, « le tout premier projet de faire des concerts [de musique contemporaine] remonte à la période où Roger Désormière était encore alerte, en 1952. On trouvait que la vie musicale était vraiment très moche et anodine. Puis Roger Désormière a été paralysé et il n'y avait donc plus moyen de faire quoi que ce soit avec lui ». C'est en 1953, lors d'une rencontre entre Boulez et le chef d'orchestre Hermann Scherchen, qui accepte d'apporter sa contribution, qu'est mise sur pied l'organisation de ces concerts. Mais il faut trouver un lieu et l'argent. Boulez, qui est depuis 1946 directeur de la musique de scène de la Compagnie Renaud-Barrault, reçoit l'appui de Jean-Louis Barrault, qui lui confie le soin d'organiser une première saison de quatre concerts. Ils sollicitent Simone Volterra, directrice du théâtre Marigny, qui accepte de mettre à leur disposition le petit théâtre annexe, le Petit Marigny, en cours de construction.
C'est dans cette salle de 280 places, inconfortable – les bancs sont en bois et sans dossier –, qu'a lieu, le 13 janvier 1954, sous la direction de Scherchen, le premier concert, très représentatif d'une nouvelle manière de penser la musique : à son programme figurent une œuvre de référence – L'Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach –, deux « classiques du xxe siècle » – Renard d'Igor Stravinski et le Konzert opus 24 d'Anton von Webern – et deux premières auditions en France, Polifonica-Monodica-Ritmica de Luigi Nono et Kontra-Punkte de Karlheinz Stockhausen. Boulez a confié la mise en scène de Renard et son rôle mimé à Jean-Louis Barrault, bénéficiant ainsi du parrainage d'un artiste déjà reconnu par le public. Dans la salle se pressent de nombreuses personnalités du monde intellectuel et artistique, parmi lesquelles Marie-Laure de Noailles, les Polignac et Jean Cocteau.
Pour l'ensemble de la programmation, Boulez a clairement affirmé sa conception : « Nous voulons établir trois plans dans notre action.
1) Un plan de référence, c'est-à-dire que seront données des œuvres qui ont une référence plus particulièrement actuelle, soit dans leur vocation, soit dans leur conception. Ainsi des motets isorythmiques de Machaut, de Dufay, du chromatisme de Gesualdo, ou de l'inspiration formelle de L'Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach.
2) Un plan de connaissance. Par là, nous entendons des œuvres contemporaines, encore mal connues, bien qu'elles puissent être considérées comme jouant un rôle primordial dans l'évolution de la musique (Stravinski, Bartók, Varèse, Debussy).
3) Un plan de recherche, nous n'osons[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Média
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