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DOMINATION

Théories de la domination

Depuis la critique de l'absolutisme et du despotisme par les philosophes des Lumières, puis, au siècle suivant, le développement des mouvements anarchistes, le thème de la domination n'a pas manqué de théoriciens philosophes, sociologues ou politologues. On connaît les thèses de Marx sur la suppression souhaitée de toute aliénation et exploitation par une dictature, celle du prolétariat. La classe exploiteuse est celle qui contrôle l'État et fait triompher son idéologie sur la société entière, abandonnée depuis le xixe siècle à la contradiction entre forces de production de plus en plus collectives et moyens de production possédés par des propriétaires privés.

Parmi les théoriciens de la domination, Herbert Marcuse, dans le prolongement de Marx, reformule le concept d'aliénation, soumission morbide aux lois technocratiques du marché et de l'économie. Afin de se libérer de cette aliénation, un nouveau rapport à la nature est exigé, comportant l'abandon de la logique de la production et la maîtrise de la consommation.

Michel Foucault dégage la place des savoirs dans les stratégies du pouvoir. Dans les relations inégalitaires et mobiles du pouvoir à l'intérieur de la prison, de l'entreprise ou de l'hôpital, des tactiques complexes de résistance, opposées à une intégration idéale et différentes des machineries disciplinaires, sont à l'œuvre. L'originalité de Foucault réside dans l'affirmation que les agents ne sont pas totalement manipulables et que le pouvoir, comme la domination, s'insère dans un contexte de stratégies.

Selon P ierre Bourdieu, toute domination réussit à maintenir des rapports de force sans qu'ils apparaissent visiblement parce que la domination est intériorisée par les dominés. La culture acquise est une forme de distinction qui légitime la domination par les détenteurs d'une formation dans les grandes écoles. Une violence symbolique devient coercitive dans la mesure où le dominé s'accorde aux idées du dominant dont il possède une certaine partie du savoir.

D'autres théoriciens ont proposé une critique différente des rapports entre pouvoir et domination. En allemand, on distingue Macht, exercice de la capacité à commander, et Herrschaft, domination et commandement reposant sur une règle circonscrivant l'exercice du pouvoir. Si celui-ci est d'origine rationnelle comme dans l'État moderne, des normes juridiques, lois et règlements servent à la légitimation du système et sont sanctionnés par des fonctionnaires bureaucrates. Un pouvoir féodal ou gérontocratique se fonde sur le prestige de certaines lignées et sur l'ordre traditionnel. Un pouvoir charismatique exerce une forme mystique de domination-séduction comme dans les sectes ou dans certains régimes totalitaires. La distinction entre ces trois pouvoirs, rationnel, traditionnel et charismatique, est propre à Max Weber, pour qui le pouvoir de commander implique le devoir corrélatif d'obéir (Économie et société, 1922).

Quant à Stewart Clegg (Frameworks of Power, 1989), il soutient que le pouvoir est un concept relationnel relevant de l'interaction tandis que la domination serait une notion structurelle plus fondamentale liée à l'inégalité des ressources, des cultures, de l'intelligence et des moyens de coercition. En fait, l'exercice du pouvoir a des effets générateurs de domination, et celle-ci peut disposer d'alliés extérieurs à l'appareil politique : poids économique de la grande bourgeoisie, influence médiatique des intellectuels, etc.

On reconnaîtra que les idéologies utilisent trop souvent la notion de domination sans précaution, ce qui bloque le développement d'analyses spécifiques du processus politique. Elles en font un phénomène central ou en amplifient le fondement économique aux dépens d'autres.[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-V-Sorbonne

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