ROUX DOMINIQUE DE (1935-1977)
De ce gentilhomme issu d'une vieille famille d'origine languedocienne, Salah Stétié écrit : « Arrière-petit-neveu de Stendhal et de Gobineau, petit cousin de Barbey d'Aurevilly, et fils sans aucun doute de Paul Morand et de Montherlant, il était à l'évidence tout cela. » Cette généalogie imaginaire restitue fidèlement l'esprit de cet homme insaisissable pour qui la littérature n'est pas seulement une histoire de livres mais la totalité de la vie. Ce fils de banquier arrête ses études à dix-sept ans, gagne l'Angleterre où il est employé à la Bourse de Londres et à la Barclays Bank, séjourne un an en Espagne puis, après avoir résidé à Bordeaux, se rend en Allemagne où il travaille dans une usine de feutre : débuts d'« homme pressé »...
Après son mariage, il poursuit avec sa femme, Jacqueline, l'aventure de L'Herne commencée en 1956 par la publication d'une revue ronéotypée et publie son premier roman Mademoiselle Anicet (1960). Il crée en 1961 les Cahiers de l'Herne : volumineux ouvrages de référence centrés autour d'un écrivain majeur ; sous la direction de Dominique de Roux, trente-trois cahiers paraîtront : de René Guy Cadou (1961) à Raymond Abellio (1979, soit deux ans après sa mort). La célèbre collection compte des titres prestigieux : Bernanos, Céline, Borges, Ungaretti, Char, Jouve, Mao Zedong, Gracq, Beckett, Péguy, et surtout deux maîtres qui ne cesseront d'influencer de Roux : Gombrowicz et Pound. Le premier, encore mal connu, peu traduit en français, est en Pologne la bête noire du gouvernement (on risque les travaux forcés à posséder ses livres !), le second subit, à l'époque du double cahier qui lui est consacré (1965), un purgatoire dû entre autre à son engagement politique au côté de Mussolini durant la Seconde Guerre mondiale. Si de Roux ne les découvre pas, il se bat pour les faire connaître plus largement : il publie en 1965 la première traduction par Denis Roche des Cantos pisans, puis ABC de la lecture et Comment lire de Pound, l'année suivante ; cette série fait découvrir à la France le grand poète américain, ami de Joyce et d'Hemingway.
En 1966, Dominique de Roux cofonde avec Christian Bourgois les éditions du même nom, et dirige, toujours avec Bourgois, la collection de poche 10/18. Parallèlement à une débordante activité éditoriale, il poursuit une œuvre où le roman alterne avec le pamphlet : L'Harmonica-Zug (1963) entraîne dans la « toute puissance [du] train rapide, [qui] transfigure l'irréel en éternel », « le récit attire d'autres récits, des événements, d'autres visages comme le jeu des miroirs jusqu'à l'éblouissement ». De Roux dérange : « chaque livraison est l'occasion de brouilles et de nouveaux amis » confie-t-il à propos des Cahiers. La Mort de Louis Ferdinand Céline (1966) ne calme pas le jeu ; les passions et les haines s'enflamment et ce n'est certes pas L'Ouverture de la chasse (en 1968, tourné contre les littérateurs et les idéologies à la mode), qui apaise le monde parisien des lettres. Écrivain abominant les ronds de jambes, moraliste sans autre morale que celle de la parole donnée, le cœur de de Roux bat pour les politiques de la trempe de Richelieu, Bismarck, Charles Quint... Il développera ses humeurs dans un brillant volume de fragments intitulé Immédiatement (1971). Pour y avoir traité Maurice Genevoix d'« écrivain pour mulot » et Roland Barthes de « bergère » (entre autres coups de patte), il est contraint, dans un tollé général, de démissionner des Presses de la Cité. Il transforme alors cet exil en vocation de grand reporter en Guinée portugaise, en Angola et au Mozambique... Écrivain politiquement inclassable, il collectionne les inimitiés de tous bords ; de Roux est d'abord un homme libre, et ses « engagements » en témoignent[...]
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Écrit par
- Claude-Henry du BORD
: professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à
Études , poète et traducteur
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