LECOURT DOMINIQUE (1944-2022)
Critique de l’instrumentalisation des sciences
Une autre constante des réflexions de Lecourt est son attention aiguë à la manière dont les sciences peuvent être prises dans des questions politiques ou poser des problèmes de valeurs. Une part importante de ses travaux porte sur les instrumentalisations politiques des sciences, qu’il s’agisse du lyssenkisme et de la science dite prolétarienne (Lyssenko), des contestations fondamentalistes du darwinisme aux États-Unis (L’Amérique entre la Bible et Darwin, 1992) ou de l’exaltation des techniques au profit d’intérêts financiers ou de rêveries utopiques, notamment dans le transhumanisme (Humain, posthumain, 2003). Lecourt propose une réflexion sur les imaginaires et les valeurs qui accompagnent les transformations scientifiques (Prométhée, Faust, Frankenstein, 1996). Il tente aussi de préserver un idéal de progrèstechnique et scientifique non dogmatique, dans le contexte des années 1990-2000 où ce dernier se trouve remis en cause. Peu à peu, la philosophie de Lecourt évolue vers la défense d’un idéal rationaliste critique, issu de la tradition des Lumières, contre les mouvements de peur ou d’hostilité vis-à-vis des développements technologiques (Contre la peur, 1993 ; L’Avenir du progrès, 1997 ; L’Âge de la peur, 2009). Elle se double de ce qui constituait sans doute dès le départ une de ses orientations profondes : un matérialisme libertin, dans la lignée de Diderot, qui transparaît dans l’écriture ironique et acérée des Piètres Penseurs (1999), pamphlet sur les dévoiements d’une philosophie médiatique venant asséner ses vérités sur le bien et le mal et écartant toute radicalité ou remise en question. C’est ce matérialisme libertin refusant les évidences et les jugements moraux, célébrant la liberté d’esprit, qu’on retrouve dans ses derniers travaux (Diderot, 2013 ; L’Égoïsme, 2015) et que ses étudiants et ceux qui l’ont fréquenté lui connaissaient bien.
Dominique Lecourt était, avant tout, un pédagogue remarquable, à la fois érudit et stimulant, capable d’amener des publics très variés d’étudiants à remettre en cause les évidences de leurs pratiques, et, plus encore, un homme entier qui sut toujours soutenir des personnalités atypiques, loin des sentiers battus de l’Université. Il y avait chez lui l’ambiguïté qu’il décelait lui-même chez Diderot : « Il reflue contre les principes d’adhésion aux valeurs qui structurent sa propre personne et le rôle qu’elle est appelée […] à tenir sur la scène du théâtre social. » Ironisant sur les deux portraits concurrents représentant Diderot, l’un avec « la couperose du bon vivant, les yeux enjoués d’un débatteur », l’autre la figure « un peu molle d’un secrétaire d’État », Dominique Lecourt souhaitait que ce fût la première qui prévalût pour Diderot. Nul doute qu’il espérait qu’il en serait de même pour lui.
Dominique Lecourt est mort le 1er mai 2022 à Paris.
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Écrit par
- Claude-Olivier DORON : maître de conférences en histoire et philosophie des sciences, université Paris-Cité/SPHERE-Centre Georges Canguilhem
- Céline LEFÈVE : maître de conférences en philosophie, chercheuse UMR CNRS-université Paris-Cité SPHERE, directrice de l'institut La Personne en médecine
Classification
Média
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