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DOMMAGE QUE CE SOIT UNE PUTAIN, John Ford Fiche de lecture

<em>Dommage qu'elle soit une putain</em> de J. Ford, mise en scène de Luchino Visconti - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Dommage qu'elle soit une putain de J. Ford, mise en scène de Luchino Visconti

Dans cette tragédie sombre et violente (1633), John Ford (1586-env. 1639) poursuit l'exploration de la pathologie des passions déviantes qu'il avait menée dans ses autres pièces, en montrant l'amour incestueux de Giovanni, jeune étudiant frais émoulu de l'université de Bologne, et de sa propre sœur, la belle Anabella.

Une passion incestueuse

La pièce semble de prime abord s'inscrire dans la tradition de l'apologétique antilibertine. Le frère Bonaventure, confesseur et tuteur de Giovanni, dénonce dès l'ouverture la dérive intellectuelle du jeune homme. Nouveau Faust et autre don Juan, celui-ci rejette le savoir traditionnel et les préceptes de la foi chrétienne (« Je ne trouve dans tout cela que rêves et fables de vieillards/ Pour effrayer l'inconstante jeunesse », I, 2), et semble s'abandonner à un érotisme déviant qui, selon Bonaventure, ne peut mener qu'à la barbarie. De fait, Giovanni n'hésitera pas, dans l'épilogue, à sacrifier cette sœur adorée qu'il perd après le mariage contracté avec Soranzo pour permettre à la jeune fille d'échapper à l'infamie d'une grossesse hors mariage.

Mais la visée morale de la pièce est plus ambiguë qu'il n'y paraît : l'amour entre Giovanni et Anabella est bel et bien un amour sublime entre deux êtres d'exception, sur fond de corruption généralisée. Giovanni voit dans leur couple la réunion des deux moitiés de l'androgyne platonicien, figure de perfection s'il en est. Parme, par contraste, apparaît comme une cité dominée par le désordre politique et moral le plus extrême, où les représentants de l'aristocratie et de la religion sont des êtres vénaux ou lubriques : Florio, père des amants, se révèle faible et veule lorsqu'il cherche à marier sa fille au plus offrant ; le Cardinal protège un criminel (Grimaldi) et s'approprie, au nom de l'Église, les biens des morts ; Soranzo est un gentilhomme volage et cruel, qui répudie sa maîtresse adultère Hippolita pour épouser Anabella.

De ce climat se nourrissent les intrigues secondaires, toutes liées à la figure ambivalente d'Anabella, femme innocente ou pécheresse, point focal de tous les désirs masculins. Les trois premiers actes nous montrent ses trois prétendants (Soranzo, Grimaldi, Bergetto) lui faire la cour, tandis que les intrigues secondaires, qui marquent la dette de Ford à l'égard du genre de la tragédie de vengeance, sont centrées sur les agissements de Grimaldi contre Soranzo, sur la vengeance d'Hippolita envers Soranzo, ainsi que sur celle de l'époux d'Hippolita envers ces deux derniers, toutes intrigues qui sont rapidement closes. La dernière scène de l'acte IV, au cours duquel Soranzo épouse Anabella et apprend son état, marque un resserrement sur le trio formé par Giovanni, Anabella et Soranzo. L'acte V se clôt en apothéose avec un banquet funèbre : convié par Soranzo, Giovanni, figure tragique du rebelle, apparaît, le cœur d'Anabella planté sur sa dague, et s'avance sans crainte vers la mort.

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, maître de conférences à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

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Média

<em>Dommage qu'elle soit une putain</em> de J. Ford, mise en scène de Luchino Visconti - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Dommage qu'elle soit une putain de J. Ford, mise en scène de Luchino Visconti