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DON

Donner est une opération des plus familières qui ne semble pas appeler de définition sociologique particulièrement précise : un bien change d'attributaire par la décision de son propriétaire qui manifeste à un tiers une disposition bienveillante puisqu'il n'exige rien en retour. Définition satisfaisante en première approximation, mais partielle, puisqu'elle en reste aux apparences, sinon aux convenances. Il n'est pas besoin, en effet, de chercher bien loin dans nos propres façons de faire pour convenir qu'il y a quelque obligation non seulement à donner mais aussi à recevoir et, surtout, à rendre la pareille.

Le don est devenu un concept scientifique, une institution dûment repérée par l'ethnologie avec la parution, en 1924, de l'« Essai sur le don » : dans ce texte, devenu un classique, Mauss montrait, à partir d'une colossale documentation empruntée aux époques et aux cultures les plus diverses, que cette institution présentait un caractère doublement ambivalent. D'abord, que le don libéral et gracieux est régulièrement suivi d'un contre-don tout aussi unilatéral et arbitraire mais tacitement perçu comme la réponse adéquate à la première prestation. Sur ce point, la pratique et même la contrainte sociale implicite apparaissent formelles. Il faut rendre, et bien rendre, selon un code précisément établi : ni trop ni trop peu, ni trop vite ni trop tard. Aussi le don est-il indiscutablement l'amorce d'une relation réciproque, un échange différé.

Mais le concept de don contient un autre paradoxe, plus difficile à admettre : l'action de donner, qui semble matérialiser une relation de sympathie, revêt en fait une dimension agressive. Car le cadeau crée une dette. En obligeant son partenaire, le donateur acquiert sur lui de l'ascendant, sinon du pouvoir. Il le contraint à l' obligation, éventuellement coûteuse, de rendre et d'être pris, peut-être malgré lui, dans une escalade embarrassante, dans une partie risquée où sont en jeu nom, réputation, rang, fonction ou simplement fortune.

Le caractère « agonistique » des échanges de cadeaux reste perceptible dans nos sociétés modernes et développées, qui ont le sentiment de sauvegarder par là des formes archaïques de sociabilité pour contrebalancer une morale de l'intérêt individuel et de l'efficacité comptable. Mais les rapports festifs – fussent-ils l'objet d'immenses mobilisations collectives orientées vers une consommation massive de produits, comme à l'occasion de Noël ou dans certains carnavals contemporains – paraissent peu de chose face aux dissipations d'un luxe inouï que s'offrent les sociétés primitives.

Il est une institution, entre autres, qui a, par son intensité tragique, excité la curiosité des observateurs : c'est le potlatch des indiens Kwakiutl de la côte nord-ouest de l'Amérique. L'intérêt que lui ont porté les ethnologues depuis les travaux de Franz Boas, l'importance des analyses qui lui ont été consacrées, en France notamment par Georges Bataille ou par Claude Lévi-Strauss, ont fait du potlatch, au-delà des discussions théoriques qu'il a soulevées, un paradigme sociologique et presque un nom commun. La fascination qu'il exerce tient à ce qu'il réfléchit des questions qui sont au cœur de nos civilisations. En témoignent les très curieux rapprochements sémantiques que permet l'étymologie de nos langues indo-européennes : la racine germanique gift signifie « cadeau » en anglais, et en allemand « poison » ; de même, le radical du mot « don » se retrouve dans « dose » ... de poison !

Le texte de Mauss

On ne doit pas limiter l'« Essai sur le don » à ces quelques idées simples, car il n'a cessé d'inspirer de nouvelles lectures. Et non pas seulement parce qu'on y trouve quelques propositions[...]

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Écrit par

  • : maître assistant à l'École des hautes études en sciences sociales

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Cérémonie du Potlach - crédits : MPI/ Archive Photos/ Getty Images

Cérémonie du Potlach

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