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DON CARLOS (G. VERDI)

Une tragédie du pouvoir

Avec Don Carlos, Verdi joue pleinement le jeu du grand opéra, un genre dans lequel il souhaite s'imposer au même titre que Giacomo Meyerbeer. Ce dernier en avait fixé les règles : un ouvrage sérieux, souvent en cinq actes, qui contient des airs virtuoses, laisse une grande place au chœur et à l'orchestre, comporte un ballet et offre des scènes spectaculaires.

Contrairement aux autres opéras de Verdi qui s'appuient sur trois ou quatre personnages principaux, Don Carlos repose sur six protagonistes, également importants et bien traités vocalement : le Grand Inquisiteur n'a pas d'air qui lui soit propre, mais quelle sombre majesté dans son dialogue avec le roi et comme il mate la révolte populaire ; il représente la politique de l'Église et force le roi à se plier à ses volontés. Le marquis de Posa, personnage ici parfaitement anachronique car favorable à la liberté des peuples, rejette le pouvoir répressif du roi : quand celui-ci lui affirme que son action a établi la paix (« J'ai de ce prix sanglant payé la paix du monde », acte II, deuxième tableau – les citations font référence à la version de 1867), Posa demande la liberté pour les Flandres) ; avec ses deux grands airs, c'est un rôle idéal pour un baryton. Eboli est un peu comme Posa, bizarrement accrochée à l'intrigue, mais avec deux airs superbes, la chanson du voile (acte II, deuxième tableau) et « Ô don fatal » (acte IV, premier tableau), elle campe une ambitieuse séduisante. Philippe II est très attachant : dur, cruel, cet autocrate se révèle un homme solitaire et malheureux, et son grand air « Elle ne m'aime pas ! » (acte IV, premier tableau) est un des plus beaux portraits de tyran chez Verdi. Élisabeth est pathétique : amoureuse et juvénile, elle doit sacrifier son amour à son devoir et se préparer à une vie de souffrance ; sa ligne mélodique, sans cesse mélancolique après le premier acte, est toujours émouvante. Don Carlos, enfin, représente l'aboutissement du héros verdien : tenté par une vie héroïque qu'il ne parvient jamais à concrétiser, il demeure miné par une passion que l'autorité de son père condamne à l'échec. On retiendra le premier acte, avec la naissance d'un amour, situation rare chez Verdi. Dominant tout, la sinistre majesté du chœur rappelle que la vie n'est « que cendre et que poussière » (acte II, premier tableau). Don Carlos est incontestablement le meilleur grand opéra de ce genre. Il s'agit aussi, malgré ses complexités, d'une œuvre majeure dans le parcours dramatique du compositeur.

Sur le plan musical enfin, Don Carlos respecte la division traditionnelle en scènes et en airs, tout en s'orientant déjà vers un discours musical continu qui évite une rupture entre les airs multiformes, comme celui de Philippe II ou le dernier d'Élisabeth (« Toi qui sus le néant des grandeurs de ce monde », acte V). Cet opéra bénéficie par ailleurs d'une orchestration très riche, conçue pour l'orchestre de la capitale et la première scène lyrique parisienne.

— Gilles de VAN

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III

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Média

Boris Christoff - crédits : Erich Auerbach/ Getty Images

Boris Christoff