DELILLO DON (1936- )
Le romancier américain Don DeLillo n'est pas allé – comme son exact contemporain Thomas Pynchon, dont on dit parfois qu'il est comme un double – jusqu'à s'effacer et disparaître dans un total incognito. Il n'en reste pas moins un personnage solitaire et secret, un « ascète manqué », dit-il, une sorte de moine de l'écriture. Il écrivait depuis vingt ans déjà lorsqu'en 1988 son œuvre est sortie d'un cercle intime de déchiffreurs fervents pour atteindre le grand public avec Libra, son neuvième livre : une radioscopie encyclopédique de « sept secondes » d'un film d'amateur tourné le 22 novembre 1963 à Dallas. Mais ce « grand roman américain » ne fait qu'orchestrer un certain nombre de thèmes, presque d'obsessions, que DeLillo n'a cessé dès ses débuts d'analyser sous divers angles. Romancier, il l'est, certes, par la topographie qu'il dresse de divers microcosmes de la société contemporaine. Mais c'est plus encore un analyste, scrutant notre époque – un guetteur obstiné des signes et des symptômes du siècle.
L'entrée en écriture
Né en 1936, Don DeLillo a grandi dans le Bronx, qui n'était pas encore la zone sinistrée qu'il est devenu, mais un quartier populaire de New York. Sa famille est de souche italienne et de milieu ouvrier. Des scènes, traumatiques, surgies d'un passé lointain reviennent dans ses livres. Sont-elles autobiographiques ? C'est la descente avec le père contremaître dans les entrailles du métro. C'est la terreur d'être abandonné. L'enfance, manifestement, a laissé des stigmates. Don DeLillo, dans une rare confidence, a également évoqué la forte impression que lui a laissée la somptueuse liturgie des messes d'enterrement catholiques : d'où peut-être l'envoûtement qu'exercent sur lui chorégraphies et rituels.
De 1954 à 1958, il fait des études d'histoire, de philosophie et de théologie sous la férule des jésuites de l'université catholique Fordham, à New York. Puis, après un bref passage (de 1961 à 1963) dans l'agence de publicité Ogilvy & Mather, il entre en écriture « comme on entre au couvent » et, vers 1966, commence Americana, qui paraît en 1971. Dans ce premier roman, on peut déjà lire en filigrane, encore embryonnaire, tout l'œuvre à venir. Le personnage central, David Bell, travaille comme réalisateur pour une chaîne de télévision de Manhattan et pour la publicité. À Manhattan, il mène une vie dont l'ennui, la « vacance », lui rappellent « un film d'Antonioni ». D'avoir autrefois vu sa mère sombrer dans l'aphasie, il lui est resté, comme un legs, un sentiment de culpabilité qui a fait de lui un « schizogramme vivant » : un « étranger » à lui-même, voyeur de sa propre vie, qu'il regarde à travers l'œil de son objectif. Lorsqu'on lui propose d'aller en Arizona tourner un documentaire sur les Indiens Navajo, il se dit qu'il va pouvoir sortir enfin des « images » et des « ombres » – plonger dans la « nuit hurlante de l'Amérique » et, dans les terres sauvages de l'Ouest, trouver son moi « primitif ». Mais, au bout de la grand-route, il ne trouve qu'une communauté hippie cherchant à reproduire l'image fantôme qu'elle se fait de la vie indienne. Americana est un western pirandellien : au lieu du moi « original », des « images », à l'infini.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
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