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DELILLO DON (1936- )

L'esprit de secte et la réalité dédoublée

Don DeLillo - crédits :  Leonardo Cendamo/ Hulton Archive/ Getty Images

Don DeLillo

Le Don DeLillo des débuts garde maintes traces des influences qui s'exerçaient alors sur lui. On reconnaît l'empreinte laissée par Nabokov, William Gaddis, Thomas Pynchon, John Hawkes, Joseph Heller, William Burroughs et d'autres encore. Beckett aussi, pour lui comme pour toute sa génération, et Gertrude Stein, dont il aime « la prose détimbrée ». L'œuvre de James Joyce l'Irlandais – « Jimbaby », comme il le surnomme – trouve en lui un écho plus intime encore : elle lui permet d'articuler sa position de fils d'immigrant, marginal et déplacé. Mais, plus encore que la littérature, c'est peut-être la « révolution esthétique » des années 1950 qui a le plus marqué DeLillo. Il s'est un jour décrit comme un « enfant de Jean-Luc Godard et de Coca-Cola » : la nouvelle vague française, mais aussi Antonioni, Bergman, Kurosawa ont influencé sa perception du métier d'écrivain. Il en va de même pour les grands noms de l'école de New York : les peintres Motherwell, Rothko, Jackson Pollock lui ont appris à traiter la toile de son texte comme un espace parfois presque abstrait de signes. Enfin, il y a le jazz, sur lequel il lui arrive souvent d'écrire : Thelonious Monk, John Coltrane, Sonny Rollins. Toujours à l'écoute de la « rumeur » langagière qui filtre dans notre quotidien, le romancier a une superbe oreille, qui lui permet de capter la musicalité propre à chacun des îlots linguistiques qu'il explore.

Un peu comme Zola, qui visitait chaque fois un milieu social différent (la mine, le grand magasin, la prostitution, le rail, la terre, etc.), Don DeLillo fait de chacun de ses romans la monographie d'un microcosme : successivement, la publicité, le football américain, le rock'n roll, les mathématiciens, Wall Street et la haute finance, les collectionneurs d'erotica, l'analyse des risques et l'archéologie, la petite ville américaine et son campus, la C.I.A. et ses enclaves. Chacun de ces « mondes » est clos sur lui-même, protégé, calfeutré dans ses rites et son « idiome », sa « techno-langue », que l'écrivain excelle à transcrire. Chacun aussi tend vers la « limite » qu'est la secte, un phénomène qui fascine DeLillo.

Souvent, le protagoniste des romans de Don DeLillo cherche à sortir des « images », mais aussi des « ombres » et des « doubles » de la réalité que sont les mots. Dans End Zone (1972), le microsystème linguistique est le code secret par lequel joueurs et entraîneur communiquent sur un terrain de football américain. À la fin, dans la « zone terminale » du titre, l'entraîneur quitte cet enclos pour faire retraite dans la « toundra » texane et n'y être plus rien qu'un signe qui s'efface dans le silence. Great Jones Street (1973), véritable conte fantastique sur les médias, est l'histoire d'une star du rock, hybride de Bob Dylan et de Mick Jagger. Son « image » met la foule de ses fans en délire, jusqu'au jour où il quitte tout pour se réfugier dans un vieil immeuble à l'abandon de Manhattan. Il s'exile dans l'incognito ; il fait le mort. Mais dehors, son producteur continue à exploiter son image. L'homme disparu devient ainsi, à son insu, le héros d'une communauté hippie qui espère qu'il mènera jusqu'à la limite, c'est-à-dire au suicide, son entreprise d'auto-effacement.

Déjà se profilent deux thèmes insistants : le repli paranoïaque d'un groupe sur soi et ce qu'on pourrait appeler le fantasme eschatologique, l'attente, l'espérance de la fin violente des temps. Cela se confirme avec Joueurs (1977), où un agent de change, intrigué par un meurtre commis à Wall Street, finit par entrer dans le monde souterrain, clandestin, du terrorisme et de la[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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Don DeLillo - crédits :  Leonardo Cendamo/ Hulton Archive/ Getty Images

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