DON JUAN (G. G. Byron) Fiche de lecture
Long poème inachevé en dix-sept chants, Don Juan (1819-1824) est le chef-d'œuvre incontesté de lord Byron (1788-1824). Prenant à contre-pied le mythe du libertin cynique immortalisé par Tirso de Molina, Molière et Mozart, il fait de son héros un pantin manipulé par les femmes et leurs désirs dévorants, soumis à ses caprices d'auteur-« improvvisatore ».
Un don Juan burlesque
Le don Juan de Byron survit à une invraisemblable suite de péripéties et de tribulations qui lui font parcourir toute l'Europe du xviiie siècle, de Séville à Londres, en passant par une île de la mer Ionienne (théâtre de la rencontre avec la belle Haidée et son farouche pirate de père), la Turquie (où il séjourne dans le harem du sultan), Saint-Pétersbourg (où il devient l'amant de la Grande Catherine). De surcroît, il ne manque pas de courage et parvient à conserver un semblant de dignité au milieu de situations bouffonnes ou compromettantes.
La subversion du genre épique à laquelle se livre Byron est des plus féroces, et se double d'une insolente maîtrise des ressorts aventureux de la littérature picaresque. L'aléa, l'arbitraire se taillent la part du lion dans un récit qui voit l'antihéros subir passivement la loi d'un destin capricieux et indifférent au sort des hommes. La conduite du récit y est totalement désinvolte, donnant même l'apparence d'être bâclée, quand le narrateur abandonne son personnage au beau milieu d'une bataille, pour le transporter à l'autre bout du continent, ou le délaisse le temps de longues digressions, sur le modèle de celles ménagées dans le Tristram Shandy (1760-1767) de Laurence Sterne : « Que voulez-vous ? il faut bien que le monde tourne sur son axe, emportant avec lui le genre humain, têtes et queues : il nous faut tous vivre et mourir, faire l'amour et payer l'impôt, et tourner notre voile au vent, de quelque côté qu'il souffle. » Du reste, les multiples interventions de l'auteur, ainsi que les développements métaphysiques auxquels elles donnent lieu, finissent par donner un tour « conversationnel » au poème, qui enfle à mesure que croît ce spirituel bavardage. Ainsi Byron, qui se plaît à vagabonder en toute liberté, joue-t-il à plein des effets de contraste entre sa veine romanesque et ses penchants au raisonnement. Mais l'originalité de l'œuvre réside surtout dans le choix de l'ottava rima, strophe de huit vers en vigueur chez les poètes comiques italiens, en raison de l'ébouriffante cocasserie des rimes qu'elle autorise, notamment dans les deux derniers vers. Outrancièrement polysyllabiques, les rimes byroniennes amplifient son art du contrepoint burlesque et du déboulonnage des puissants de ce monde.
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Écrit par
- Marc PORÉE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média