DON QUICHOTTE
« Dans un village de la Manche, dont je ne saurais me rappeler le nom, vivait naguère un gentilhomme... », c'est ainsi que Cervantès faisait débuter l'histoire d'Alonso Quixada, Quesada ou Quijana, ce personnage à la cervelle dérangée par la lecture de trop de romans de chevalerie, qui, sous le nom de don Quichotte, allait conquérir le monde après avoir livré bataille à des moulins à vent qu'il prenait pour des géants.
Cervantès aurait conçu Don Quichotte lors de son incarcération à la prison de droit commun de Séville, en 1597. Mais l'élaboration des aventures du « génial hidalgo » l'occupa de longues années. L'œuvre parut en deux parties. La première fut mise au jour en 1605, par Juan de la Cuesta, à Madrid, et le succès fut immédiat : dans la seule année 1605, le livre fut réimprimé à cinq reprises. La seconde partie devait paraître en 1615, toujours par les soins de Juan de la Cuesta, à Madrid. Entre-temps, en 1614, une seconde partie, apocryphe, avait été publiée à Tarragone, sous le nom du licencié Alonso Fernández de Avellaneda, pseudonyme que la critique n'est pas arrivée à percer.
Don Quichotte devait être traduit dans à peu près toutes les langues, et même en espéranto. César Oudin, l'interprète du roi, traduisit la première partie en français dès 1614 ; François de Rosset, la seconde, en 1618. Parmi les autres traductions françaises, fort nombreuses, il convient de rappeler celle de Filleau de Saint-Martin, qui fut la plus répandue au xviiie siècle et celle de Louis Viardot (1836), qui reste la plus fidèle.
Peintres et musiciens, décorateurs et sculpteurs se sont emparés de Don Quichotte presque sans discontinuer. Parmi les illustrateurs, il faut citer John Philips, Vanderbank, Coypel, Folkema, Navarro, Jimeno, Charlet, Tony Johannot, Devéria, Grandville, Horace Vernet, Gustave Doré, Daniel Vierge, Bertold Mahn, Picasso, Dalí, Germaine Richier sans oublier les compositions de Hogarth, de Goya, de Daumier. Quant aux musiciens que Don Quichotte inspira, ils s'appellent Purcell, Telemann, Massenet, Manuel de Falla, Richard Strauss, Maurice Ravel, et bien d'autres encore.
La critique a cherché la raison du succès universel et toujours renouvelé d'une œuvre si profondément enracinée dans un terroir, dans une époque et dans un concept que le détail en est devenu souvent incompréhensible sans le secours de l'érudition. Mais qui ouvre le livre et en commence la lecture se laisse vite emporter par la drôlerie de ce récit qui donne l'impression du réel dans ses détails les plus abracadabrants. La longueur de l'élaboration, le délai qui sépare la publication des deux parties de Don Quichotte donnent à chacune de celles-ci un caractère particulier qui en accroît le charme. La première a peut-être plus d'élan, plus de variété dans le développement. On y trouve quelques-uns des épisodes les plus fameux : l'aubergiste armant don Quichotte chevalier, les moulins à vent, les discours sur l'âge d'or, la conquête de l'armet de Mambrin, la délivrance des galériens, les outres de vin percées à coups d'épée, la rencontre du captif qui rapporte d'Algérie des souvenirs si proches de ceux de Cervantès lui-même. Mais la seconde partie, si elle est moins bondissante, a une densité qui rend l'œuvre encore plus profonde : l'aventure de la grotte de Montesinos, celles du retable de maître Pierre, de la chevauchée sur Clavilègne, la monture de bois, du gouvernement de Sancho Pança, les chapitres où apparaissent Ricote le morisque et sa fille Ana Félix, tous ces épisodes explicitent en quelque sorte l'ensemble de l'œuvre et aident à comprendre certaines intentions de l'auteur.
Cette source jaillissante se nourrit de tout ce que l'Espagne du xvie et du xviie siècle, alors à l'apogée de sa grandeur,[...]
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