SADE DONATIEN ALPHONSE FRANÇOIS DE (1740-1814)
Théâtre et roman
Comme chez Baudelaire ou chez Diderot, l'homme de théâtre se révèle, chez Sade, lorsqu'il n'écrit pas du théâtre. Dans ses pièces très classiques de style et de sentiments, on ne reconnaît guère Sade, sinon par le soin extrême avec lequel il ordonne le rite : décors, machinerie, diction des acteurs, intermèdes de pantomime. Le roman lui offre en revanche le véritable théâtre qui lui était nécessaire. Les vastes orgies qu'il organise pour ses héros sont des rites minutieusement préparés : tragédie, figure de danse érotique, liturgie. Ce théâtre de visionnaire suppose aussi toute une dialectique des regards entre les personnages, le lecteur et l'auteur.
Les registres de Sade sont plus variés qu'on ne l'a dit. Il faudrait rappeler de quelle violence, de quelle éloquence il fait preuve dans les lettres écrites de Vincennes et de la Bastille. Nous possédons des fragments de son journal. Il a écrit des nouvelles assez diverses, depuis le simple fabliau ou l'histoire « gauloise » jusqu'à des nouvelles psychologiques et tragiques dans le meilleur style du xviiie siècle, réunies sous le titre : Les Crimes de l'amour. Plus vaste qu'une nouvelle, mais n'ayant pas cependant l'ampleur des grandes constructions romanesques, La Marquise de Gange (1813) est construite sur des données historiques qui permettent à l'auteur de prouver que la vertu n'est jamais récompensée. À la même veine se rattachent Adélaïde de Brunswick (commencée en 1812) et surtout l'Histoire secrète d'Isabelle de Bavière, reine de France : Sade a exploré la bibliothèque des Chartreux de Dijon, mais il a ajouté de sa propre invention un grand nombre de crimes. Le tableau du règne de Charles VI est exact. Le romancier, par la précision de la couleur locale, annonce le développement du roman historique à l'époque romantique.
Les Cent Vingt Journées, si elles tiennent à la fois de la démonstration philosophique et de l'analyse médicale, s'apparentent par leur forme au roman et à la nouvelle. Il s'agit d'une suite de récits – on songe au Décaméron ou à l'Heptaméron – racontés méthodiquement par divers narrateurs ou « historiennes ». Sans cesse, le récit double l'action, avec une ampleur épique.
Dans l'ordre des vastes compositions romanesques, on retiendra surtout Aline et Valcour et les trois Justine. Aline et Valcour a dû être composé en 1785, au moment où Sade terminait la mise au net des Cent Vingt Journées, et achevé en 1788. L'impression rencontra des difficultés, et la publication date de 1795. En fait, cet ouvrage en contient deux : il y a d'abord le roman proprement dit, de forme épistolaire. Blamont veut obliger sa fille Aline à épouser un vieux libertin, Dolbourg ; Aline aime Valcour, qui est victime d'un attentat ; Aline se tue. À cette histoire se rattache d'assez loin celle de Sainville qui fait le tour du monde à la recherche de Léonore (qui se révèle la sœur d'Aline). Ce récit est plein de pittoresque. Léonore subit une suite d'aventures plus extraordinaires encore que celles de Candide. Sade a usé admirablement de la technique du roman picaresque, avec ses tiroirs, ses voyages infinis, ses rencontres étonnantes. Le roman a enfin un intérêt politique, puisque l'auteur imagine de faire débarquer Sainville dans l'île socialiste de Tamoé, véritable paradis.
Il existe trois états de l'histoire de Justine, fort différents. Les Infortunes de la vertu (publiées après la mort de Sade) furent composées en juin-juillet 1787, à la Bastille ; c'est un conte philosophique dans la tradition voltairienne, où toutes les vertus de Justine trouvent leur châtiment, les unes après les autres. En 1791, Sade donne à son récit la forme d'un roman : Justine ou les Malheurs[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Béatrice DIDIER : professeur à l'université de Paris-VIII
Classification
Média
Autres références
-
ÉROTISME
- Écrit par Frédérique DEVAUX , René MILHAU , Jean-Jacques PAUVERT , Mario PRAZ et Jean SÉMOLUÉ
- 19 774 mots
- 7 médias
...écrits. Pendant une très courte période, soit. Mais encore une fois, unique dans l'histoire. C'est « le silence des lois » dont parlera le marquis de Sade (1740-1814), qui, récemment libéré de la Bastille, publie à cinquante et un ans Justine en 1791. Ce silence des lois va durer huit ou dix années... -
FANTASTIQUE
- Écrit par Roger CAILLOIS , Éric DUFOUR et Jean-Claude ROMER
- 21 027 mots
- 17 médias
...insistera sur le fait que ce cinéma, à l’instar du Salò de Pasolini souvent cité comme un exemple fondateur, cherche à faire avec le cinéma ce que Sade, avec Les 120 Journées de Sodome, a tenté avec la littérature : à savoir pousser un médium artistique jusqu’à sa limite, afin d’expérimenter jusqu’où... -
AUTRUI (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 534 mots
Une conséquence imprévisible du moment solipsiste cartésien s’offrira au regard deux siècles plus tard, avec le marquis de Sade (1740-1814), qu’on peut considérer, ainsi que l’ont fait certains commentateurs, comme une « victime » de la métaphysique cartésienne. S’il est exact que je ne... -
LE BRUN ANNIE (1942-2024)
- Écrit par Olivier NEVEUX
- 1 150 mots
- 1 média
Essayiste et poétesse française, Annie Le Brun est née à Rennes le 15 août 1942. À dix-sept ans, elle lit, d'André Breton, Nadja, L'Amour fou et L'Anthologie de l'humour noir : « Si ces livres ne répondaient pas forcément aux questions que je me posais, j'y retrouvais des...
- Afficher les 10 références