LESSING DORIS (1919-2013)
Il n'est guère de genre auquel Doris Lessing, l'une des écrivaines les plus prolifiques de Grande-Bretagne dans la seconde moitié du xxe siècle, ne se soit essayée : sa curiosité intellectuelle, l'étendue et la nature de ses préoccupations la poussent à explorer constamment des formes et des thèmes différents ; d'un roman-document, d'une étude politique écrite de la façon la plus réaliste, elle passe au domaine de l'imaginaire, spécule sur l'avenir du monde et s'aventure dans l'univers de la folie vue comme un état où nous sont livrées les bribes d'une connaissance essentielle.
En 2007, le prix Nobel de littérature a couronné « la conteuse épique de l'expérience féminine qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée ».
Une œuvre protéiforme
Son œuvre compte une vingtaine de romans (dont deux séries de cinq volumes), de nombreux recueils de nouvelles, des pièces de théâtre, de multiples adaptations pour la télévision, sans compter des poèmes et des essais divers. On a comparé cette construction ample et complexe à une cathédrale qu'il faudrait aborder par la nef centrale afin d'en mieux comprendre le sens. Cette nef n'est constituée ni par les romans de jeunesse, qui portent sur l'Afrique, ni par le cycle des Nouvelles africaines, ni même par la série des « Martha », cinq romans qui représentent le propos le plus ambitieux de l'auteure, mais par Le Carnet d'or, ces six cents pages que la critique a saluées comme son chef-d'œuvre et qui lui valurent le prix Médicis étranger en 1976.
Doris Lessing a dressé là, avec force détails et informations, la fresque brisée d'une époque, fresque qui se situe dans la tradition des romans réalistes européens du xixe siècle. C'est, au reste, de cette tradition que l'écrivaine se réclame : « À mes yeux, le point culminant de la littérature fut le roman du xixe siècle, l'œuvre de Tolstoï, Stendhal, Dostoïevski, Balzac, l'œuvre des grands réalistes... » Dans ce roman-témoignage, elle prend la mesure du monde en décrivant l'existence d'une femme. Là réside, en effet, le but visé : atteindre l'universel à travers le particulier, rejoindre les problèmes que soulève le siècle en étudiant ceux qui se posent dans la vie quotidienne.
La critique a vu en Doris Lessing une romancière de la « féminitude » – catégorie trop étroite que l'écrivaine a refusée ; car si au premier plan des romans figurent bien les préoccupations fondamentales d'une femme, c'est tout le climat intellectuel et moral d'un pays à une période donnée qui se trouve capté et analysé à travers elles. Doris Lessing a d'abord le « sens de l'histoire qui lie les personnages à leur temps ». C'est sans doute encore ce sens de l'histoire qui la poussa à se tourner vers d'autres thèmes, à explorer de nouvelles dimensions ; celles d'un futur cataclysmique, celles, encore mal définies, de l'esprit humain lorsqu'il est confronté à l'invisible.
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Écrit par
- Christine JORDIS : écrivain, critique littéraire
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