DOROTHEA LANGE. POLITIQUES DU VISIBLE (exposition)
La photo comme archive
L’exposition révèle la somme de travail réalisée entre 1935 et 1937 puis entre 1938 et 1940 par Dorothea Lange, dans le cadre de ses deux contrats avec la Farm Security Administration (FSA), programme du New Deal de Roosevelt destiné à lutter contre les conséquences de la grande dépression. Douze photographes seront missionnés dans le pays pour enregistrer visuellement les effets positifs de ce programme. Une carte illustre l’engagement de Dorothea Lange qui couvre vingt-deux États et réalise 4 000 négatifs sur les 130 000 qui constituent ces archives. Au-delà de la présentation des tirages iconiques sélectionnés par la FSA, l’exposition révèle la richesse de sa production sur d’immenses tables lumineuses. Ainsi, entre 1935 et 1940, témoigne-t-elle des différentes vagues de migration, qu’elles soient provoquées par des raisons économiques ou climatiques (sécheresses, tornades, inondations). Tout en montrant le développement de l’agriculture mécanisée, des chemins de fer, de l’industrie du tabac et du bois, de l’habitat et du confort, Dorothea Lange tourne son objectif vers les conditions de vie déplorables des paysans blancs jetés sur les routes entre le Middle West et les fermes industrielles de Californie. Mais aussi – ce qui n’était pas du goût de ses commanditaires – sur les travailleurs saisonniers mexicains ou philippins précarisés par cette nouvelle concurrence, ou sur les métayers noirs du Sud profond, pieds et mains nus, subissant misère, injustices et ségrégation raciale.
De 1942 à 1944, pour le magazine Fortune, elle témoignera d’une autre migration, cette fois vers les chantiers navals de Richmond en Virginie, saisissant ceux qui acquièrent une nouvelle dignité à travers l’effort de guerre : les Noirs échappant ainsi au racisme du Sud, les femmes s’émancipant par le travail.
Lorsque, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, la War Relocation Authority lui passe en mars 1942 une commande pour témoigner du « bon » déroulement de l’internement des Américains d’origine japonaise, Dorothea Lange sort une fois de plus des cadres imposés. Choquée par cette incarcération, elle révèle par ses images poignantes les maisons et les boutiques vendues à prix bradés, les familles parquées et numérotées, leurs contributions à l’effort de guerre… Ces images censurées ne seront exhumées qu’en 2006.
Entre 1955 et 1957, son reportage au long cours sur un avocat commis d’office en Californie sera de la même veine, chaque image révélant sa capacité à mettre les personnes à l’aise, à saisir leur dignité, l’élégante simplicité de leurs corps et de leurs gestes. Pour Dorothea Lange, la photographie fut un outil critique de lutte politique destiné à donner un visage et une voix aux laissés-pour-compte de la société.
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Écrit par
- Armelle CANITROT : journaliste et critique photo
Classification
Média