Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GORDON DOUGLAS (1966- )

Du tatouage à la vidéo, de la carte postale à l'installation in situ, l'art de Douglas Gordon est essentiellement polymorphe. L'artiste lui-même n'a d'identité qu'instable comme le révèle un court essai biographique de 1998, rédigé par un obscur ami anonyme (peut-être l'artiste lui-même ?). Ces souvenirs, qui participent déjà à son œuvre, sont aussi précis qu'extravagants.

Douglas Gordon est né en septembre 1966 à Glasgow, au terme d'un accouchement, lit-on, qui dura environ vingt-quatre heures, sa mère mourant en couches avant de revenir à la vie. Le récit de son enfance mêle l'errance spirituelle à la violence urbaine des faubourgs de Glasgow à la fin des années 1970. Adolescent, ses ambitions artistiques lui valent de découvrir rapidement Duchamp et Warhol. Après un passage à la Slade School of Art de Londres entre 1988 et 1990, Gordon vit à Hanovre puis à Berlin. Depuis lors, l'artiste se complaît, semble-t-il, dans une existence nomade dont il est difficile de suivre la trace. Et l'auteur dépité de cette biographie la conclut ainsi : « Je ne sais plus que croire. » Cette incertitude finale, tel le dénouement des romans ou des films noirs qu'affectionne Gordon, n'est que l'amorce du sentiment de panique grandissante que propage son art. Il est premier vidéaste à avoir été récompensé du Turner Prize en 1996.

L'une des premières œuvres marquantes de Gordon est, en 1993, la projection hypnotique du film d'Alfred Hitchcock Psychose, étendue à vingt-quatre heures. Au-delà de l'étrangeté produite par le quasi-statisme de l'image ralentie, cette double manipulation technique et psychologique enchaîne le spectateur à un temps dilaté où le suspens ne débouche plus sur rien. Connu pour ses détournements du médium cinématographique, Gordon donne souvent le sentiment qu'une réalité décalée gît au cœur de la fiction.

En référence explicite aux aventures d'Alice de Lewis Carroll, Through a Looking Glass (À travers un miroir, 1999) manipule encore un court extrait de Taxi Driver de Martin Scorsese, où un psychopathe, joué par Robert De Niro, menace son propre reflet dans un miroir. Il suffira à Douglas Gordon d'organiser une double projection de la scène, sur deux écrans se faisant face, pour transposer subrepticement dans l'espace réel la schizophrénie du personnage.

Douglas Gordon, qui adressa une lettre (qui lui fut bien entendu retournée...) au meurtrier de Fenêtre sur cour d'Hitchcock, n'a visiblement jamais douté de cette vie singulière que le reflet ou le double de fiction acquiert dans son art. En retour, sa correspondance « réelle » intègre le public de son art au cœur d'une fiction névrotique. Le premier message qu'il adressa ainsi, en 1991, alors qu'il était encore méconnu, à quelques personnalités du monde de l'art, ne traduisait d'abord qu'une situation logique : « Je sais qui vous êtes et ce que vous faites », écrivait-il. Or les missives de Gordon véhiculent également un effet de dénonciation, et, présumant de la culpabilité latente du lecteur, instaurent un climat de suspicion et de malaise plus collectif. Ce qui persiste, à leur lecture, c'est plutôt le sentiment qu'une angoisse sourde et généralisée se propage, comme en témoigne encore From God to Nothing (1996). Ce texte énumère plus de cent cinquante peurs, allant de la « peur de Dieu » à la « peur de rien », en passant par celles du jugement, du purgatoire, du paradis, de l'enfer, des amis, des ennemies, de l'échec, du succès, du tonnerre, du sida, du présent, du passé, de la vérité... Si bien qu'au terme de cette litanie la « peur de rien » ne résonne guère que comme une peur de tout.

Citant sans hiérarchie, « Lucas Cranach, Barnett Newman, Emily Brontë, J. G.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Brown, Rhode Island (États-Unis)

Classification

Autres références

  • PARRENO PHILIPPE (1964- )

    • Écrit par
    • 644 mots

    Depuis le début des années 1990, Philippe Parreno, né à Oran en 1964, a distillé une action artistique parfois sibylline. Installations, vidéos, écrits, collaborations artistiques, le terrain de jeu de cet artiste est vaste et multiple. Qu'il travaille avec Pierre Huyghe, Dominique Gonzalez-Foerster...

  • VIDÉO ART

    • Écrit par , et
    • 5 807 mots
    ...(1992). Le recours à la citation directe ou à la simple référence à des fragments de films très souvent utilisé, en particulier par le Canadien Stan Douglas et l'Écossais Douglas Gordon, pourrait être qualifié d’« analytique », car il met à nu les codes visuels, sonores et musicaux de ces films afin...