DRAME Drame bourgeois
Prolongements contemporains
Anouilh
D'autres prolongements sont discernables dans le théâtre du xxe siècle. Jean Anouilh fait défiler de grotesques figures dans la tradition du drame antibourgeois. Selon l'esprit du genre, la caricature fréquemment suggère ou dégage des idées. Le Voyageur sans bagages (1936) traite à ce niveau un sujet abordé sur un autre ton par Giraudoux (Siegfried, 1928) : l'amnésique de guerre à la recherche de son passé. Gaston, après dix-sept ans, retrouve la détestable famille bourgeoise qui fut la sienne. Il la repousse, se faisant accepter par un jeune Anglais qui, lui, a perdu tous ses parents. Illustration de « Familles ! je vous hais », à quoi aboutit, au siècle de la « mort du père », un genre dont la figure de proue avait été, à ses débuts, le « père de famille »...
La Sauvage (1934), du même auteur, allait plus loin. Thérèse joue dans le minable orchestre de café que tiennent ses parents. Souillée, mais restée pure, elle est aimée de Florent, le grand pianiste. Il veut, en l'épousant, faire d'elle un être neuf ; pour préparer la mutation, il la transfère dans le milieu cossu de sa famille. Mais elle, la sauvage, se révolte. Elle fuit, restant fidèle au meilleur d'elle-même qu'elle sent lié à la misère incarnée dans son grotesque père, dans sa mère répugnante, dans son amoureux, le pitoyable Gosta, musicien sans talent, sans jeunesse, sans courage. Anouilh trouve ici l'occasion d'une de ses meilleures satires de la bourgeoisie, marquée par l'esprit « front populaire » de l'époque. Mais, par-delà, la révolte de la sauvage est située sur un plan où se devine la vieille entité métaphysique du Mal. C'est le bonheur de ceux qui n'ont jamais connu la vie humiliée qu'abomine cette Antigone de café-concert. Ainsi l'œuvre s'élève à une certaine qualité de tragique – de ce tragique que paradoxalement Jean Anouilh déprécie dans son Antigone(1944), lorsqu'il redéfinit l'opposition des genres : « C'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir, qu'on est pris [...] Dans le drame, on se débat parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. » Thérèse, qui sait qu'elle est « prise », devient une héroïne tragique d'un drame bourgeois.
Sartre
Les pièces de J.-P. Sartre élèvent leurs débats à une autre hauteur que le théâtre d'idées du xixe siècle. Ce n'est pas cependant diminuer ces œuvres que de marquer leur filiation. Elles restent dans la ligne du théâtre bourgeois antibourgeois, par la volonté de traiter des problèmes actuels (qui assez vite risquent de dater), comme par l'attention prêtée aux rapports sociaux des personnages. Les Séquestrés d'Altona (1960), de même que jadis le drame de Curel, met en scène une dynastie de hobereaux industriels pris dans le mouvement de l'histoire moderne – histoire qui prend la figure d'un destin, réduisant ces grands bourgeois aux données premières de la condition humaine. La pensée de Sartre élargit les horizons. Frantz interjette appel auprès du tribunal des siècles. Ici encore un certain tragique, plus manifeste, est atteint lorsque le héros constate : « Le témoin de l'homme, c'est l'homme. L'accusé témoigne pour lui-même... cercle vicieux. »
L'histoire du drame bourgeois est dominée par la nostalgie de cette tragédie par rapport à laquelle il voulut, à l'origine, prendre ses distances. Genre des zones moyennes, il a laissé peu de grandes œuvres. Pour échapper aux lieux communs, il lui faut ou se renier ou se dépasser. Mais c'est là précisément ce qui fait sa valeur, et son importance historique. Il fut, et peut-être demeure-t-il encore, la matrice de tout un théâtre qui aspire à de plus exaltantes[...]
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Écrit par
- René POMEAU : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne, président de la Société d'histoire littéraire de la France et de la Société internationale d'étude du XVIIIe siècle
Classification
Média
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