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DRAME Drame moderne

Pourra-t-on jamais écrire une poétique du drame moderne ? Une telle entreprise tiendrait, en vérité, de la gageure, tant le concept de drame paraît aujourd'hui flou et indéterminé au regard de celui de roman ou de poésie. Et d'abord faut-il donner à ce terme son extension maximale, celle qu'il prend aussi bien dans la Poétique d'Aristote que dans l'Esthétique de Hegel, drame signifiant alors forme dramatique et subsumant les différents genres du théâtre : tragédie, comédie, farce, etc. ? Ou bien doit-on se contenter du sens limité que lui ont donné, au xviiie siècle, Diderot et Lessing : genre mixte, genre intermédiaire émergeant, tel un nouveau continent à la fracture d'un ancien, entre la tragédie et la comédie moribondes ?

S'arrête-t-on au sens restreint ? Force est de constater qu'il ne représente plus, en cette fin de xxe siècle, qu'une survivance, un anachronisme. Et Ionesco a beau jeu, en effet, de tourner le vocable en dérision en sous-titrant telle de ses pièces « drame comique » et telle autre « pseudo-drame ». Préfère-t-on le sens large et l'on se trouve aussitôt confronté à l'impossibilité de dégager de la diversité des pièces qui se sont écrites de Strindberg à Beckett les caractères transcendants propres à définir une forme dramatique moderne.

Bertolt Brecht - crédits :  Fred Stein Archive/ Archive Photos/ Getty Images

Bertolt Brecht

Tenter de cerner la modernité du drame revient inévitablement à égrener un chapelet de paradoxes. Les deux hommes de théâtre qui dominèrent la première moitié du xxe siècle, Brecht et Artaud, furent d'ailleurs des maîtres en paradoxes. Le premier, en élaborant sa théorie de la « forme épique du théâtre » ; le second, en prophétisant l'avenir du théâtre hors de la sphère du drame, dans une totale émancipation par rapport à la forme dramatique.

Encore Brecht peut-il passer pour un réformateur conciliant, qui précise que son théâtre épique ne procède que par « déplacements d'accents » par rapport au théâtre dramatique dans sa forme aristotélicienne : accent placé sur la « narration » plutôt que sur l'« action », sur l'« argumentation » plutôt que sur la « suggestion », sur le « montage » plutôt que sur la « croissance organique ». Mais, avec Artaud, c'est bien une révolution – annonciatrice des grands renouvellements scéniques de la seconde moitié du xxe siècle, du Living Theatre à Bob Wilson – qui est promise. La réticence que manifeste Aristote envers le spectacle (opsis), Artaud la renverse en une défiance absolue à l'égard du texte, de l'œuvre écrite. L'avènement du « théâtre de la cruauté » signerait l'arrêt de mort de la forme dramatique occidentale traditionnelle et mettrait un terme au règne du dialogue dramatique afin de leur substituer un spectacle fondé sur une écriture proprement scénique. « Quand je dis que je ne jouerai pas de pièce écrite, précise Artaud dans Le Théâtre et son double, je veux dire que je ne jouerai pas de pièce basée sur l'écriture et la parole, qu'il y aura dans les spectacles que je monterai une part physique prépondérante, laquelle ne saurait se fixer et s'écrire dans le langage habituel des mots. »

À défaut donc de pouvoir définir les canons d'une poétique du drame moderne, du moins nous est-il loisible d'enregistrer, comme au sismographe, les ébranlements qu'a subis l'œuvre dramatique depuis l'époque du naturalisme, de remarquer le travail de déconstruction qui s'est opéré aussi bien sur la fable que sur le conflit, sur le personnage que sur le dialogue, de relever quelques-uns des détours – ou des détournements – dont ont usé les auteurs les plus marquants de notre temps à l'endroit de la forme dramatique léguée par la tradition.

Premier paradoxe : la contamination du drame par le roman

D'Aristote à Hegel[...]

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