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DRAME Les écritures contemporaines

Pour Peter Szondi, qui a pensé globalement la crise dans laquelle la forme dramatique entre à la fin du xixe siècle, le théâtre contemporain ne saurait plus être conçu comme un « événement interpersonnel au présent ». Il ne saurait continuer de produire des personnages qui soient de simples entités psychologiques ou sociales. Travaillée tant par la massification de la société que par les forces de l'inconscient, l'écriture dramatique se trouve alors soumise à un éclatement ou à une déconstruction. Soit elle devient subjective et tend vers une sorte de monodrame polyphonique (Strindberg, Pirandello), soit, au contraire, elle opte pour l'épique d'un théâtre en fresque (Brecht). À moins qu'elle ne combine les deux, comme la dramaturgie expressionniste et, dans une certaine mesure, comme Tchekhov. Mais, dans tous les cas, les notions de microcosme dramatique et de conflit interpersonnel ont vécu.

Force est de constater que les analyses de Szondi, bien que datant des années 1950, sont encore valables aujourd'hui et que la crise de la forme dramatique, amorcée dans les années 1880, n'est pas en voie de résolution. Tenter de cerner les évolutions les plus récentes des écritures dramatiques, des années 1970 aux années 2000, c'est donc revenir sur les foyers originels de cette crise, avec la déconstruction de la fable, du dialogue, du personnage et, surtout, de cette relation interpersonnelle au présent qui scellait traditionnellement la forme dramatique. Mais si les enjeux fondamentaux n'ont pas varié considérablement de Tchekhov à Vinaver, de Strindberg à Thomas Bernhard, d'Ibsen à Peter Handke et de Brecht à Bernard-Marie Koltès, les gestes, eux, c'est-à-dire les réponses individuelles des artistes à ces enjeux (ou à ce défi : comment rendre compte de l'univers contemporain, objectif et subjectif, visible et invisible, dans une forme théâtrale) n'ont jamais cessé de se renouveler et de se diversifier. À preuve les œuvres de Sarah Kane, Jon Fosse ou Jean-Luc Lagarce.

De la scène au texte, et retour

Edward Gordon Craig, vers 1960 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Edward Gordon Craig, vers 1960

D'une certaine manière, la réinvention du théâtre et de la théâtralité par Craig puis par Artaud, dans une volonté farouche d'autonomie et dans le déni de la littérature dramatique, continue aujourd'hui de peser sur les destinées de l'écriture dramatique. À l'auteur isolé dans son cabinet, dont Sartre fut un des derniers avatars, semble avoir définitivement succédé l'auteur-homme de théâtre, parfois lui-même metteur en scène, toujours impliqué en tout cas dans le devenir scénique de son texte.

Mais la poussée de ce que Eward Gordon Craig a appelé « l'Art du théâtre » ne s'arrête pas là ; elle menace d'expulser l'auteur et l'écriture dramatiques du champ de la création théâtrale. La déferlante du théâtre-récit, depuis les années 1970, est un symptôme manifeste de cette tendance. Ce qui n'était encore, dans le propos d'Antoine Vitez – selon lequel on pouvait « faire théâtre de tout » et, en particulier, d'un texte « à la troisième personne » – qu'une simple éventualité, une licence qui trouva forme avec Catherine (1975), d'après Les Cloches de Bâle d'Aragon, paraît devenu une pratique majoritaire, voire une orthodoxie. Sans faire l'inventaire de tous ces textes non dramatiques et a priori non théâtraux qui ont la prédilection de nos metteurs en scène – de Kafka (La Bataille du Tagliamento, mise en scène de François Tanguy, 1996) à Tabucchi (Les Trois Derniers Jours de Fernando Pessoa, mise en scène de Denis Marleau, 1997), en passant par James (Apparences, 1979, et Retour à Florence, 1985, mise en scène de Simone Benmussa) et par le Beckett « en prose » –, il nous paraît important de relier directement un tel phénomène à la crise de la forme dramatique.[...]

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Edward Gordon Craig, vers 1960 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Edward Gordon Craig, vers 1960

<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images

L’Acte inconnu, V. Novarina

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