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DREYFUS (AFFAIRE)

Le sens de l'histoire. De la crise nationaliste au progrès démocratique

L'affaire Dreyfus est, après la Révolution française, l'événement qui a le plus marqué la France contemporaine et la République. Les trois phases de commémoration qui se sont succédé depuis 1994 ont encore souligné cette place de l'Affaire dans le roman national et sa vocation à définir les grands enjeux de la modernité démocratique. Une double raison explique cette grammaire de l'événement. Jean-Pierre Peter l'a envisagé d'une part comme « l'une des grandes crises politiques de la IIIe République, [...] une épreuve morale décisive dans l'histoire de la société française ». Mais l'événement, d'autre part, fut loin d'être négatif pour la société française. Grâce à l'engagement d'une partie importante de la nation dans la défense du droit et de la vérité, la France et la République allaient se ressourcer dans d'authentiques pratiques démocratiques. Comme l'écrivit Madeleine Rebérioux, « la démocratie est en marche. [...] On peut se conduire en citoyens. Ainsi seront peut-être – quel pari ! – éliminées les défaillances liées à l'âge des foules et aux errements du suffrage universel. Ainsi se forgera une nouvelle culture civique, avec ses réseaux et ses adversaires ».

Une crise de la nation

L'affaire Dreyfus a révélé en effet la domination de l'antisémitisme sur l'esprit public, l'émergence d'une idéologie raciste appelant à l'exclusion des juifs de toute la vie nationale, la violence des haines nationalistes dénonçant la légalité républicaine. Confrontée à cette offensive majeure qui traduisait, en régime de culture de masse, le pouvoir de la presse tant extrémiste (La Libre Parole, L'Intransigeant, L'Éclair...) que populaire (Le Petit Journal, L'Écho de Paris, La Croix), la République, à travers ses élites tant politiques qu'administratives, s'identifia à la raison d'État et au dogme de la nation. Le régime constitutionnel autant que la société démocratique se trouvèrent profondément menacés. De novembre 1897 à juin 1899, les risques les plus sérieux ne furent pas tant les tentatives de coup d'État conduites par la Ligue des patriotes que l'arbitraire des pouvoirs administratifs – particulièrement l'armée – et la faillite des institutions gouvernementales et parlementaires incapables de restaurer l'autorité du pouvoir civil. La société française plongea elle aussi dans la crise puisqu'elle adhéra massivement au procès public intenté contre le capitaine Dreyfus puis contre les dreyfusards. Si elle se divisa violemment au moment de « J'accuse... ! », elle n'en demeura pas moins attachée aux valeurs de liberté et à l'égalité civique qui pouvaient garantir, et peut-être mieux encore qu'une République autoritaire et nationaliste, l'ordre et la confiance. Progressivement, les forces politiques se reclassèrent, dégageant cette majorité composite qui permit l'avènement de la « défense républicaine » en juin 1899. Le rejet de l'antisémitisme, la crainte du nationalisme, la défense des droits de l'homme et du citoyen, la primauté du pouvoir civil sur la force armée, la souveraineté et l'indépendance de la justice furent des puissants vecteurs de cette recomposition qui traversa l'essentiel des partis, à gauche comme à droite.

Des avancées démocratiques majeures

L'importance de cette sortie de crise est désormais mieux connue grâce aux recherches d'histoire politique, sociale et intellectuelle qui ont porté sur l'affaire Dreyfus depuis les années 1970. La venue de la période commémorative a donné un second souffle à l'histoire de l'événement et à sa portée politique, soulignant cette fois le rôle de l'Affaire[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé à l'École des hautes études en sciences sociales

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Médias

Alfred Dreyfus - crédits : Aaron Gerschel/ A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alfred Dreyfus

Émile Zola et l'affaire Dreyfus - crédits : Time Life Pictures/ Mansell/ The LIFE Picture Collection/ Getty Images

Émile Zola et l'affaire Dreyfus

Dreyfus en cour martiale - crédits : Henry Guttmann/ Getty Images

Dreyfus en cour martiale

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