DRIVE MY CAR (R. Hamaguchi)
Drive MyCar, du cinéaste japonais Ryūsuke Hamaguchi (né le 16 décembre 1978), a obtenu le prix du scénario au festival de Cannes 2021. Ce metteur en scène a connu, à partir de 2018, une diffusion tardive mais internationale de ses œuvres. Son film Senses, d’une durée de plus de cinq heures, a reçu au festival de Locarno 2015 le prix d’interprétation féminine attribué aux quatre actrices principales, assorti d’une mention spéciale pour le scénario. Cette œuvre fleuve relate la complicité amicale de quatre femmes de la classe moyenne vivant dans la ville de Kobe : une mère au foyer épouse de médecin, une femme sur le point de divorcer de son mari biologiste, une aide-soignante et une curatrice d’art. La parole revêt une grande importance dans ce film, ainsi que les ateliers d’expression qui voient s’entrecroiser les mots du quotidien et des textes plus travaillés : une spécialité de l’auteur. D’ailleurs, les quatre protagonistes sont des non-professionnelles qui ont participé à un atelier organisé par Hamaguchi en 2013 et 2014. Ces exercices permettent d’aborder une problématique chère à l’auteur : « Comment pouvons-nous nous écouter les uns les autres ? »
Ce « savoir écouter », Ryūsuke Hamaguchi l’a acquis en coréalisant avec Kō Sakai, entre 2011 et 2013, trois documentaires après la catastrophe de Fukushima :The Sound of the Waves, Voicesfrom the Waves, Storytellers, qui lui font découvrir la force des propos tenus par des gens simples. D’où, avec Senses, son envie d’utiliser des non-professionnels.En mai 2018, la sortie française du film est immédiatement suivie par la sélection à Cannes d’Asako 1 & 2 (2018). En 2019, la Maison de la culture du Japon à Paris présente une intégrale de son œuvre, assortie d’une publication collective, RyūsukeHamaguchi, enregistrer l’intime.
Des histoires entrelacées
D'une durée de trois heures, Drive MyCar est une relecture de la nouvelle éponyme de l’écrivain japonais Haruki Murakami étoffée de fragments de deux autres textes du même recueil Des hommes sans femmes (2014) et d’extraits de la pièce d’Anton Tchekhov Oncle Vania (1897). En s’emparant des écrits de Murakami, le réalisateur ‒ peu enclin aux adaptations ‒ ne dilue pas son univers dans celui du romancier, mais isole des leitmotive qui lui sont propres. De même, il choisit des passages d’Oncle Vania qui ne font pas référence au contexte russe de l’époque, mais tournent autour de la perspective d’une vie peut-être gâchée.
Le film se déploie en trois mouvements dont les temporalités se télescopent à travers la circulation des paroles (personnelles, artistiques, dramaturgiques, oniriques), un trait caractéristique de l’esthétique hamaguchienne. Le metteur en scène de théâtre Yūsuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima) vit à Tōkyō avec son épouse Oto (Reika Kirishima), scénariste de séries télévisées. Elle lui raconte ses histoires lorsqu’ils font l’amour et elle enregistre également sur une cassette des répliques d’Oncle Vania que Kafuku écoute en conduisant, afin d’avoir une vision globale de cette pièce qu’il devrait mettre en scène. Le couple a perdu une petite fille, et certains non-dits se sont installés entre eux. Oto a un amant, l’acteur Kōjii Takatsuki (Masaki Okada). Son mari surprend le couple à son insu. Toutefois, l’explication entre Kafuku et Oto n’aura jamais lieu, car cette dernière meurt brusquement. Deux ans plus tard, à Hiroshima, Kafuku doit enfin monter Oncle Vania dans une fondation culturelle selon sa méthode qui consiste, comme on l’apprend alors, à réunir une troupe formée d’acteurs originaires de divers pays asiatiques. Une jeune femme farouche et comme absente à elle-même, Misaki (Tōko Miura), occupera la fonction de chauffeur auprès du metteur en scène.
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Média