DROIT INTERNATIONAL DU CLIMAT
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La judiciarisation du droit international du climat
L’écart constant entre les recommandations des scientifiques, les objectifs posés dans l’accord de Paris et les trajectoires d’émission de gaz à effet de serre conduit la société civile à se mobiliser pour défendre et promouvoir le respect de l’accord de Paris. Les mobilisations prennent la forme de marches, de grèves scolaires ou de protestations plus radicales comme celles conduites par Extinction Rebellion, mouvement international se réclamant de la désobéissance civile. La voie judiciaire est également largement utilisée. Une grande vague de « procès climatiques » contre les États, des collectivités locales ou des entreprises, déferle à travers le monde. Il s’agit, pour les affaires les plus emblématiques, d’un contentieux « stratégique », expression qui désigne la pratique consistant à amener une affaire devant un tribunal pour provoquer un changement de jurisprudence ou une évolution du droit (Maljean-Dubois, 2021). Le nombre de ces procès augmente rapidement. En décembre 2022, 2 180 contentieux liés au climat avaient été lancés dans 65 juridictions, y compris aux échelons international et régional, voire devant des organes quasi judiciaires, tels ceux relevant des procédures spéciales relatives aux droits de l’homme des Nations unies (UNEP, 2023b). Les enfants et les jeunes, les groupes de femmes, les communautés locales et les peuples autochtones, notamment, sont particulièrement investis dans ces contentieux. Dans le prolongement de l’emblématique affaire Urgenda (du nom d’une ONG qui a engagé et gagné entre 2015 et 2019 une action judiciaire contre l’État néerlandais pour inaction climatique), plusieurs procès climatiques ont été lancés en France, dont la très médiatisée « Affaire du siècle », au cours de laquelle le tribunal administratif de Paris a reconnu l’État français responsable de son inactivité climatique (2021), puis constaté qu’il n’avait pas entièrement exécuté la décision tout en rejetant la demande d’astreinte déposée par les ONG requérantes (2023). Celles-ci se sont pourvues en cassation.
La question du climat a donné lieu à des constructions juridiques très créatives. Ainsi, une décision de 2021 de la Cour constitutionnelle allemande interprète la Constitution allemande à la lumière d’un impératif de justice intergénérationnelle. Elle affirme qu’en consommant une grande partie de son « budget carbone » (expression désignant un quota d’émission carbone autorisé), l’Allemagne aggrave de manière inacceptable le risque de pertes graves de liberté pour les jeunes générations qui devront subir une transition brutale (Premier sénat de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, 24 mars 2021 [pub. 29 avril] BvR 2656/18, communiqué de presse en anglais). Cette décision de justice a conduit le gouvernement allemand à revoir aussitôt ses objectifs. Cette vague de procès climatiques témoigne dans son ensemble de l’importance de l’accès à la justice, et plus largement des règles promouvant l’état de droit. Même si les contentieux ne sont pas toujours « gagnants », ils contribuent dans l’ensemble à renforcer la pression sur les acteurs publics et les grandes entreprises (Rochfeld, 2019).
Ayant d’abord pris naissance à l’échelon national, les contentieux prospèrent aussi à présent à l’échelle internationale (Perruso, 2023), la question climatique n’ayant toutefois pas encore donné lieu à un contentieux interétatique. Il est à noter que trois procédures de demandes d’avis consultatifs visant à clarifier – chacune dans le champ de la juridiction concernée – les obligations climatiques des États ont été portées devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le Tribunal international du droit de la mer et la Cour internationale de justice. Ces trois affaires donnent lieu à[...]
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Écrit par
- Sandrine MALJEAN-DUBOIS : directrice de recherche au CNRS, Centre d'Études et de recherche internationales et communautaires, Aix-en-Provence
Classification
Médias