MUSULMAN DROIT
Les mutations du système traditionnel à partir du XIXe siècle
La construction de la religion musulmane s'est faite au cours des siècles dans un contact permanent avec les autres monothéismes – judaïsme et christianisme, dans leurs variantes respectives –, ainsi qu'avec le manichéisme, le zoroastrisme ou le polythéisme. Les courants théologiques, juridiques et politiques se sont développés dans le dialogue ou la controverse avec les autres croyances. Ils se sont également déterminés sur des questions internes à l'islam : nature créée ou incréée du Coran, statut des attributs divins, conciliation de la raison et de la Révélation, rôle et fonction du pouvoir temporel... À l'époque médiévale et pendant les Temps modernes, ces questions ont fait l'objet de débats récurrents parmi les savants : droit ou non à la rébellion contre un souverain injuste, réforme des systèmes juridiques en fonction du contexte politique et historique, émergence d'un droit positif issu des dispositions et des ordres princiers... Plusieurs penseurs ont marqué l'islam : al-Ghazali (mort en 1111), par exemple, s'opposa à la scolastique et à l'influence de la philosophie aristotélicienne, prônant une « revivification des sciences religieuses » sur une base mystique ; de leur côté, les Statuts gouvernementaux d' al-Mawardi (mort en 1058) et les « Miroirs de princes » de la fin du Moyen Âge ont inspiré bien des juristes et réformateurs musulmans. Ils ont fait autorité dans le shiisme comme dans le sunnisme. Les Statuts sont toujours cités par des docteurs iraniens et utilisés comme base de réflexion par les réformistes.
La « Nahda » (la renaissance)
Au xixe siècle, dans le prolongement de l'expédition de Bonaparte en Égypte et des grandes entreprises coloniales britanniques et françaises, se produit un bouleversement majeur dans les courants théologiques et politiques, ainsi que dans les systèmes juridiques du monde musulman. Confronté à la supériorité technologique des puissances coloniales, le Moyen-Orient est traversé par un vaste mouvement de pensée favorable aux idées de réforme et de modernisation des structures traditionnelles, la Nahda (la « renaissance »). Les auteurs de cette époque valorisent de nouveaux concepts, ou en revitalisent d'anciens : dustur (constitution), hurriyya (liberté), haqq (droit du sujet), qanun (droit positif, forme de droit profane d'origine sultanienne précisant l'application de la loi), adl (justice) et jumhuriyya (« république », vers 1830). Autour de ces notions s'élaborent des théories politiques modernes. Ce mouvement intellectuel, critique et réflexif, s'affermit avec la fin de l'Empire ottoman et la suppression, par Mustafa Kemal Atatürk, en 1924, du califat – qui avait connu treize siècles d'existence depuis la mort du Prophète.
Cette étape intellectuelle est essentielle pour comprendre l'apparition des partis ou des associations musulmanes de réforme des mœurs. L'organisation des Frères musulmans, fondée en 1928 par Hassan al-Banna (1906-1949), s'inscrit dans la continuité de la Nahda, tout en devenant le prototype des futurs partis « islamistes », désireux de réislamiser la société par le bas, en vue de l'avènement d'un État islamique et de la restauration du califat originel (le règne des premiers califes, les « bien guidés », constitue un mythe fondateur de l'islam, un peu comme l'Église des apôtres dans le christianisme). Hassan al-Banna, après une éducation religieuse traditionnelle, entre dans un ordre soufi (mystique) et devient instituteur en 1927. Il commence par prêcher dans les cafés, puis il fonde une confrérie à but moral et éducatif, qui connaît un grand succès en Égypte et en Syrie. Le mouvement promeut l'éducation du peuple, l'honnêteté dans[...]
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Écrit par
- Pascal BURESI : directeur de recherche au CNRS
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Médias
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