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NATUREL DROIT

De prime abord, quand on parle de droit naturel, on suppose une connaissance de la nature accessible à la raison et universellement reconnue ; c'est ce que semblent contredire les disciplines historique et ethnologique qui manifestent la multiplicité des contenus du droit et de la justice. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », disait déjà Pascal. Plus récemment l'étude des sociétés, différant tant par leur situation géographique que par le point d'évolution où elles se trouvent, ne fait que confirmer cette mise en doute. L'argument est invoqué en faveur d'une critique du droit naturel, et on oppose respectivement, comme à son autre, immuabilité et variabilité, nature et culture. Toute mise en œuvre de règles par un groupe est un fait de culture, non de nature.

Pourtant, Claude Lévi-Strauss parle de « réintégrer la culture dans la nature, et finalement la vie dans l'ensemble de ses conditions physico-chimiques » (La Pensée sauvage, Paris, 1962). Ces mots pourraient sembler faire écho à la tradition aristotélicienne, mais en fait ils disent l'inverse. Lévi-Strauss entend en effet mettre en lumière le soubassement organique de toute production humaine.

Au contraire, chez Aristote et Thomas d'Aquin, le concept de nature humaine suppose celui de culture, en ce sens que la nature humaine achevée est conçue comme un fruit de culture. La nature tend à être une nature cultivée dans un devenir personnel et social.

Alors le droit trouve un fondement dans les exigences de la nature. Un tel langage, dont il faut saisir la différence avec celui de Lévi-Strauss par exemple, peut-il être tenu aujourd'hui ? Une philosophie du droit naturel peut-elle résister à la critique historique et ethnologique ?

La tradition aristotélico-thomiste

Si l'homme est un être doué d'intelligence et de liberté, s'il doit réaliser sa nature et sa destinée en fonction de ses finalités propres, si l'homme, social par essence, ne peut s'épanouir que dans la société, lieu naturel de son existence, et dans les relations multiformes qu'il entretient avec autrui, alors il existe des droits fondés sur les exigences de la nature humaine. Le droit naturel consiste ainsi en « un ensemble de principes régissant les conditions de toute société, parce que correspondant à la nature identique en tout homme » (J. Leclerc, Leçons de droit naturel).

Néanmoins les questions demeurent : Y a-t-il un droit naturel ? Mais si droit il y a, n'est-ce pas parce qu'il y a l'exigence impérative d'une loi fondée en raison sur la nature ou essence des êtres ? Et si les deux concepts de droit et de loi se sont développés indépendamment l'un de l'autre, et apparaissent distincts à l'analyse (Thomas d'Aquin, Somme théologique, IIa IIae, qu. lvii, a. 1), la notion de droit naturel renvoie à celle de loi naturelle.

Histoire d'un malentendu

Le discrédit accordé au droit naturel est lié à un changement de sens de la notion de loi naturelle. À partir du xviie siècle, la loi naturelle est conçue par Descartes et par Grotius comme une création arbitraire de Dieu. La loi dérivant de la volonté du législateur ne peut être clairement et définitivement posée. Le droit naturel apparaît donc comme un système immuable et achevé. Car la loi naturelle est comme un code écrit applicable à tous les hommes d'une manière universelle et identique, non pas un principe de raison susceptible d'applications variables. S'ensuit une conception de la justice qui est alors pensée sur le modèle géométrique de l'époque.

Une telle conception est contredite tant par le point de vue historique qui découvre les multiples contenus du droit que par le point de vue philosophique qui détermine des ruptures dans les systèmes de pensée. C'est une telle conception du droit naturel[...]

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