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NATUREL DROIT

Peut-on parler aujourd'hui d'un droit naturel ?

Affectivité, raison et histoire

La question posée revient à celle plus primitive de la possibilité rationnelle du concept de nature. C'est souvent en niant le devenir que la philosophie classique, oubliant l'intuition aristotélicienne qui est de penser tout ensemble le changement et la permanence, s'est voulue à la fois philosophie de l'éternel et philosophie du réel. Le réel était conçu d'une manière unilatérale sur le mode de ce qui ne change pas. Certes, depuis Hegel qui en fait la première catégorie de l'histoire (Introduction à la philosophie de l'histoire universelle), le devenir apparaît comme nécessairement progressif et positif. Bien qu'elle ne se hâte pas d'accueillir sans réserve cette conclusion, la réflexion philosophique considère le réel comme « devenant », au moins pour une part, et toute ontologie doit désormais partir de « l'ontogenèse » de l'être en devenir. Et l'analyse de l'être qui devient fait apparaître l'être dans son aspect relationnel, qu'il ne s'agit pas de substituer à son aspect substantiel, mais qu'on ne peut plus mettre à l'arrière-plan. Car la substance n'est pas un tout clos sur lui-même ; elle est essentiellement – et cela s'avère suprêmement exact de la personne – faisceau de relations. La nature humaine, affectée du devenir, est « métastable » dans ses déterminations, dont les modalités varient selon les époques et selon le progrès dans la connaissance que l'homme a de cette nature. La nature humaine doit être située par rapport à la perspective historique, car l'historicité en est une dimension constituante. On peut en dire autant de l'affectivité ; l'homme, en effet, est un être de désir, et cela dans un sens très différent de l'animal. L'enracinement de l'homme dans le cosmos, sa corporéité, ne permettent pas de réduire à l'animalité tout ce qui en lui n'est pas raison.

Ainsi lorsque Thomas d'Aquin montre que la loi naturelle participe à la loi éternelle (Ia IIae, qu. xci, a. 2), il veut dire que, comme toutes les autres créatures, la nature humaine est porteuse de finalité tenant à son essence, et une certaine continuité entre l'homme et les autres vivants se trouve alors affirmée. Mais chez l'homme, et par là c'est une rupture avec le règne animal que saint Thomas veut montrer, la participation à la loi éternelle suppose « la lumière de la raison par laquelle nous discernons ce qui est bien et ce qui est mal ». Accueillir la loi naturelle ne signifie donc pas enregistrer des obligations comme si elles étaient inscrites dans la nature à titre de données absolument déterminées. La raison, en ce sens, est donc créatrice de valeurs, mieux co-créatrice, et la loi, qu'elle découvre, loin de pouvoir être déchiffrée comme un code, est aussi son œuvre. Car la nature de l'homme est raison et liberté engagées dans l'histoire. C'est donc en tenant compte des mutations sociales, de l'histoire qui est devenir, des conditions géographiques variables, de la singularité de l'histoire personnelle, que la raison met en œuvre, sur le fond de ce qui demeure même, l'exigence de déterminations autres. La loi naturelle n'existe pas toute faite. C'est par les questions que pose l'action qu'elle se constitue dans une confrontation avec les exigences fondamentales de la nature et avec l'apparition de situations existentielles nouvelles. C'est pourquoi, si la loi naturelle n'est pas une forme sans contenu, le seul invariant de ce contenu est qu'il faut « faire le bien et éviter le mal » (Thomas d'Aquin, IIa IIae, qu. xciv, a. 2) avec les conséquences directes qui en découlent, étant donné que l'homme[...]

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