DROIT Sociologie
Le retour à la sociologie générale
Le fait marquant concernant les développements actuels de la sociologie du droit française est certainement, par rapport à cette tradition de science pratique, une inflexion forte caractérisée par un retour à la sociologie générale. Déjà en 1990, la Société française de sociologie consacrait son colloque annuel à la question du droit (Normes juridiques et régulation sociale, 1991) et mobilisait fortement à cette occasion les sociologues français y compris quelques-unes de ses principales figures. En 1986, Pierre Bourdieu avait déjà publié un article proposant des analyses qui seront abondamment reprises (« La Force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », in Actes de la recherche en sciences sociales, no 64, septembre 1986). Il y mettait en application certains des fondamentaux de sa pensée sociologique. Il y affirmait notamment que le champ juridique jouait un rôle déterminant dans le maintien de l'ordre symbolique et, par conséquent, dans celui de l'ordre social. Pour lui, le travail juridique représentait un instrument essentiel dans l'exercice de la domination symbolique par la classe dominante, cela grâce à l'effet d'universalisation qu'il opère.
C'est probablement un contexte de transformations politiques, économiques et sociales qui va favoriser et renforcer progressivement ce retour à la sociologie générale sur la question du droit. Ce retour rompt avec un particularisme français qui a pu être spécifiquement valorisé dans le monde juridique. Il contribue, conjointement, à inscrire plus nettement la sociologie du droit française dans un cadre international où domine la sociologie américaine avec sa puissante Law and Society Association. Parmi ces transformations, on peut noter celles qui touchent au statut de l'État et à la relativisation de l'État-nation, aux nouveaux échanges transnationaux, ou encore aux nouvelles stratégies de mouvements sociaux incluant le juridique et le judiciaire dans leurs moyens d'action. Ces transformations ont des effets importants sur la régulation juridique, les évolutions de cette dernière étant le plus souvent indissociables des métamorphoses de la régulation politique.
Dans ce contexte, une sociologie du droit qui n'était en fait qu'une sociologie du droit de l'État, participant d'une vision pyramidale (du haut vers le bas) de la régulation politique, s'affirme de plus en plus comme inadéquate. De façon concomitante à la remise en cause de l'idée d'un État central impulsant d'en haut, la production de la loi, au lieu d'être perçue comme l'expression de la volonté d'un « législateur », se révèle comme la résultante d'interventions multiples d'acteurs sociaux aux intérêts différents ou encore de jeux d'influence de mouvements sociaux. De façon plus générale, l'accent est désormais mis sur une activité juridique faite d'interactions multiples entre des acteurs sociaux (ce qui contribue à suggérer l'idée d'une contractualisation croissante des échanges sociaux) qui considèrent le droit moins comme un donné que comme une ressource dont l'usage s'inscrit dans des stratégies. Il est certainement significatif à cet égard que les analyses de Pierre Bourdieu aient pu faire récemment l'objet de critiques dans la mesure où, attachées à souligner la place du droit dans les processus de domination, elles auraient négligé les capacités stratégiques d'acteurs sociaux, y compris les plus dominés, à jouer des règles juridiques en fonction de leurs propres objectifs. De même pour la justice, les approches sociologiques dont elle fait l'objet ne sont plus essentiellement inspirées par une représentation sociale suivant laquelle le tribunal, c'est implicitement le « palais de justice », comme lieu issu d'un transfert[...]
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Écrit par
- Jacques COMMAILLE : professeur des Universités à l'École normale supérieure de Cachan
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