DROIT Sociologie
Nouveaux paradigmes
Tous ces changements sont constitutifs d'un nouveau régime de connaissance de la sociologie du droit. Celui-ci pourrait être synthétisé en soulignant les traits principaux à partir duquel il s'établit :
– la déspécification du droit. Non pas expression d'une « Raison », le droit est d'abord le produit d'une construction sociale, institutionnelle et politique à laquelle concourent les professionnels du droit et les savoirs juridiques. Par exemple en entreprenant une ethnographie de la pratique du droit par le Conseil d'État, Bruno Latour s'attache à démontrer que loin d'être le lieu d'une vérité, comme ordonné par la transcendance, le droit est fait de tâtonnements, de « microprocédures », comme autant de manifestations de « l'activité sans grandeur des juristes ». De même, des travaux sur les juges dans des situations de crise politique démontrent que leur pratique, bien loin d'être déterminée par leur strict souci d'appliquer la loi ou de vouloir la faire correspondre à une quelconque théorie du droit, découle d'une vision stratégique où les options sont choisies en fonction d'opportunités, de circonstances politiques et des finalités auxquelles ils adhèrent. Plus encore, les tenants d'un courant américain dit du legal consciousness proposent des perspectives d'analyse du droit qui pourraient bien contribuer à une révolution paradigmatique de la sociologie du droit. Il s'agit ici de rompre avec une vision causale qui conduisait notamment à poser le problème en termes d'effectivité ou en termes d'influences réciproques entre le juridique et le social. Dans cette conception, le droit est constitutif de la réalité sociale et non pas relevant d'une sphère autonome dont il conviendrait d'observer les relations avec le social.
– la « socialisation » du droit. Les mouvements sociaux, les acteurs sociaux, les opérateurs économiques se saisissent de la ressource juridique pour promouvoir leur cause notamment par le recours à l'arène judiciaire. Les usages du droit et de la justice constituent des éléments importants du répertoire de l'action collective. C'est ce que montrent par exemple des travaux internationaux sur les recours à la justice par des minorités ethniques ou des travaux sur des groupes sociaux « dominés ».
– l'instrumentalisation politique du droit. La légalité apparaît de plus en plus comme une ressource privilégiée dans les « jeux » politiques. Si les professionnels du droit sont si présents dans l'espace politique et dans son histoire, cela tient au fait que gérer du droit confère une efficacité politique particulière. Être porteurs de la légalité pour les professionnels du droit leur permet de tenir un rôle éminent dans le travail de légitimation du politique ou de disqualification de sa légitimité. La prise en compte de la dimension politique de l'activité juridique s'impose ainsi de plus en plus dans des recherches qui s'attachent par exemple aux rapports des magistrats au pouvoir politique ou encore à la pratique de professionnels du droit qui mettent leur compétence spécifique au service de causes, cela dans le cadre d'un mouvement qualifié de cause lawyering qui fait l'objet de nombreux travaux au niveau international.
Dans ce contexte, il est significatif que le pôle de référence de ce nouveau régime de savoir de la sociologie du droit soit moins Émile Durkheim que Max Weber. Le positivisme sociologique de Durkheim, qui le conduit à traiter le droit, fait social parmi d'autres, « comme une chose », apparaît moins nécessaire à des sociologues qui n'ont pas le souci de se démarquer de la dogmatique juridique. En outre, l'idée suivant laquelle les professionnels du droit ne sont qu'une sorte de comité exécutif du [...]
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Écrit par
- Jacques COMMAILLE : professeur des Universités à l'École normale supérieure de Cachan
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