DROIT Théorie et philosophie
Détermination du contenu du droit
Envisagée d'un point de vue formel, la règle de droit n'est qu'un contenant, lequel appelle un contenu. Ce contenu, d'où vient-il ? Existe-t-il déjà dans quelque réalité objective, en sorte que le juriste – législateur, juge ou expert en droit – n'aurait qu'à la découvrir quitte à l'adapter aux exigences formelles du contenant (le droit serait alors, comme « donné », objet de science) ; ou bien est-il l'œuvre de l'esprit humain qui aurait à l'élaborer (le droit serait alors « construit ») ? De la réponse apportée à la question va découler la méthode juridique.
Donné ou construit : les thèses en présence
Le positivisme juridique
Pour certains, il est vrai, la question serait sans pertinence, du moins pour le juriste. Le droit, disent-ils, est norme ; la science du droit est science de normes. Cette science se propose uniquement et exclusivement d'établir ce qu'est le droit et comment il est. Elle n'essaie en aucune façon de dire comment le droit devrait ou doit être fait (H. Kelsen). Non que le contenu de la norme soit sans intérêt ; mais le choix de ce contenu, qui relève d'ailleurs de l'autorité publique, ne peut se faire qu'à partir de considérations psychologiques, sociologiques, éthiques et politiques qui sont étrangères à la science juridique. Étant donné pourtant cette originalité du droit qu'il règle lui-même sa propre création et sa propre application, il revient à la science du droit, à défaut de pouvoir apprécier la valeur quant au fond du droit décidé par l'autorité, d'en vérifier la valeur quant à la forme, c'est-à-dire la validité au regard des règles juridiques de compétence et de procédure qui gouvernent la création et l'application du droit.
Mais cette position est inacceptable. Certes, il appartient au juriste, comme homme de science, de décrire, avec les explications nécessaires, le droit tel qu'il est, bon ou mauvais, et aussi de juger de la régularité formelle d'une loi ou d'un règlement. Mais puisque le droit est à la fois fond et forme, ce n'est pas rendre compte de cette totalité que de s'attacher uniquement à la forme en se désintéressant du fond. On objecte qu'aborder le fond serait abandonner le terrain de la science – de la science pure du droit, reine Rechtslehre – pour verser dans la « politique juridique ». Il n'empêche que cette politique juridique représente à tout le moins un aspect du droit et que, si elle doit nécessairement faire état de considérations psychologiques, sociologiques, morales et politiques, de soi étrangères au droit, il faut savoir quel rôle elles ont à jouer les unes et les autres, comment les utiliser pour en tirer le contenu des règles. Aussi bien, il est souvent malaisé, même dans l'appréciation de la régularité formelle d'une règle, de s'abstenir de tout examen du fond. Comment, par exemple, décider du caractère irrégulier d'une loi comme violant le principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi sans verser dans la politique juridique et même dans la philosophie sociale et politique ?
Ce qui est vrai sur le plan des règles posées (de lege lata), l'est aussi et davantage sur le plan des règles à poser (de lege ferenda), office qui incombe bien aux autorités publiques (loi, jurisprudence) mais dont nul juriste soucieux de la qualité du contenu des règles ne peut se désintéresser.
Les diverses conceptions du « donné » du droit
Le problème subsiste donc. Mais sa solution ne va pas sans discussion, au moins pour ce qui concerne le fond substantiel des règles. Suivant l'opinion la plus générale, ce fond est « donné », mais l'accord cesse sur la nature de ce « donné ». En gros, deux courants s'affrontent : l'un « réaliste », « scientifique[...]
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Écrit par
- Jean DABIN : membre de l'Académie royale de Belgique, doyen émérite de la faculté de droit de Louvain
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