HINDOU DROIT TRADITIONNEL
Le sanskrit n'a pas de mot qui corresponde exactement à notre mot « droit » dans l'acception où l'on prend ce terme quand on parle de droit français, de droit anglais, etc. ; c'est-à-dire un mot pour désigner l'ensemble des règles qui fixent impérativement les rapports entre particuliers, règles à l'observation desquelles ils peuvent être astreints par une contrainte extérieure ou physique, pour reprendre une définition célèbre.
Dans l' Inde traditionnelle, c'est-à-dire le système suivi avant la pénétration des notions occidentales, le droit positif résulte du jeu, variable suivant les circonstances, entre trois facteurs doués chacun d'une force contraignante particulière, qui tantôt s'accordent tantôt s'excluent l'un l'autre, où l'on peut voir les différentes sources du droit, à savoir le dharma, la coutume et l'ordre du roi. C'est au jeu même de ces trois composantes du droit, plutôt qu'à son résultat, que se sont intéressés ceux qui dans l'Inde exerçaient une fonction analogue à celle de nos juristes.
Le dharma
De ces trois éléments, seul le dharma est une notion spécifiquement indienne. Le mot a des acceptions nombreuses qui dérivent toutes de la racine dhṛ, « soutenir, maintenir, entretenir », qui a donné en latin fre et fir, d'où fretus (« appuyé sur ») et firmus (« ferme, stable »). Le dharma, c'est ce qui est ferme ; c'est la loi à la fois cosmique et sociale, à laquelle tout hindou croit. De là on passe aisément au sens qu'il a particulièrement dans la langue juridique : l'ensemble des devoirs qui incombent à chacun selon sa caste et la période de sa vie, l'ensemble des règles sur lesquelles il doit conformer sa conduite s'il veut réaliser pleinement son destin. Pour l'hindou, en effet, la stabilité de la société est liée au respect d'un certain ordre moral et rituel qui s'exprime par des lois aussi inflexibles que celles qui régissent le monde physique. « Détruit, le dharma détruit ; protégé, il protège », voilà, selon Manu (VIII, 15), ce que les assesseurs du roi doivent lui rappeler quand il est enclin à violer la justice.
La connaissance des règles de dharma est donc primordiale. Seules elles font autorité, car seules elles comportent par elles-mêmes une sanction qui retentit sur le sort de l'individu. Aussi, de bonne heure, les hindous se sont attachés à l'étude du dharma. Chaque école védique avait adjoint à ses rituels, particulièrement à ses rituels domestiques, un recueil destiné à les compléter où, sous la forme aphoristique de sūtras propre à ces écoles, étaient dégagées les obligations découlant des rites. Ces dharmasūtra, en dépit de la place fort modeste qu'ils occupaient dans l'ensemble des textes élucidés par chaque école, étaient déjà riches en substance et contenaient en germe toute la littérature ultérieure sur le dharma. On y voit se dessiner la grande division tripartite des ouvrages postérieurs : la sainte coutume, c'est-à-dire les règles de vie qui s'imposent à celui qui veut assurer son salut, les pénitences qui permettent au pécheur d'expier ses fautes et d'éviter la sanction qui le frapperait dans l'au-delà, et le devoir du roi sous son double aspect de justicier et de juge. Mais cette troisième partie, qui est le domaine propre du droit, n'est vraiment développée que dans la littérature suivante, celle des dharmaśāstra. À une époque qu'il est impossible de préciser, sans doute aux environs du début de l'ère chrétienne, il se forma des écoles spécialement appliquées à l'étude du dharma et apparurent des ouvrages en vers, destinés à une grande popularité où les questions de nature juridique tiennent une place de plus en plus considérable. Le plus célèbre de ces dharmaśāstra,[...]
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Écrit par
- Robert LINGAT : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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