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HINDOU DROIT TRADITIONNEL

La coutume

De ce qui précède, il résulte que la règle de dharma subit une double limitation. Tout d'abord, elle n'est applicable qu'aux hindous, c'est-à-dire à ceux qui professent une religion basée sur le Veda. Elle est donc nécessairement personnelle. Toutefois, on ne saurait réserver la qualité d'hindou aux seuls descendants directs, authentiques, des Aryens qui auraient reçu jadis dans le Pendjab la loi de Manu. Il ne s'agit pas ici de race, mais de civilisation. Telle population dravidienne qui n'a pas une goutte de sang aryen dans les veines n'en devra pas moins être comptée parmi les hindous, du moment qu'elle sera pénétrée d'idées aryennes, qu'elle aspirera à faire partie du monde indien et qu'elle partagera l'idéal commun. Ce sont là des limites bien vagues, et l'on comprend sans peine que sur une population dont l'assimilation aux idées aryennes est extrêmement variable, l'autorité religieuse des dharmaśāstra et par suite leur autorité juridique soit, elle aussi, profondément inégale.

La seconde limitation découle de la première. Les dharmaśāstra se sont en quelque sorte superposés à une société existante dans laquelle chaque caste, chaque région, chaque famille et l'on peut dire chaque groupement, avait ses coutumes particulières – c'est le second élément ou facteur du droit positif. Sans doute les brahmanes qui ont composé ces ouvrages n'ont pas été de purs théoriciens. Mais, ainsi qu'il a été dit plus haut, ils n'étaient et ne se considéraient pas comme des législateurs, mais comme des moralistes dont la mission essentielle, pour ne pas dire unique, était de révéler aux hommes les règles de conduite résultant de la nature des choses, c'est-à-dire du plan divin de la création. Si donc la règle actuellement suivie, la règle coutumière, est conforme à l'enseignement des śāstra, elle se trouve définitivement consacrée, elle joint à la force contraignante dont l'assortit la société l'autorité de la règle de dharma. Mais, en cas de conflit, la règle de dharma ne peut que s'effacer devant la règle coutumière. Au commun des hommes, absorbés dans leur tâche quotidienne, on ne saurait en effet reprocher de s'en tenir à leurs coutumes ancestrales, coutumes auxquelles leur origine immémoriale confère d'ailleurs un caractère quasi sacré. Aussi bien les dharmaśāstra eux-mêmes reconnaissent la primauté de la coutume sur la règle de dharma. Il ne fait aucun mal, déclare Manu (IV, 178), celui qui suit les coutumes de ses ancêtres. Et le même auteur recommande au roi de se renseigner sur les usages des castes, des pays, des guildes et des familles, et de fixer en conséquence les devoirs de chacun (VIII, 41).

Ainsi, en raison de sa nature même, la règle de dharma ne peut pas s'imposer, elle ne peut que se proposer. Les prescriptions des dharmaśāstra ne deviennent règles de droit que lorsqu'elles sont acceptées par la population et entrées dans la pratique. Il s'ensuit qu'elles offrent en quelque sorte un critère, un moyen de mesurer le degré d'hindouisation des groupes si divers qui constituent la société indienne. Ceux qui ne s'y soumettent pas se trouvent déclassés par rapport à ceux qui les observent et leur niveau est d'autant plus bas que leurs coutumes s'écartent davantage des règles de vie prônées par les śāstra. Les dharmaśāstra assurent effectivement l'unité du monde indien par le haut ; dans les couches inférieures et à mesure que l'on descend la hiérarchie sociale, la part de la coutume s'accroît progressivement jusqu'à s'étendre à tout le champ de l'activité humaine dans les couches les plus basses.

Toutefois, en ce qui concerne les éléments hindous ou assimilés de la société indienne, les conflits[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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