HINDOU DROIT TRADITIONNEL
L'interprétation du droit écrit (les dharmaśāstra)
Cette littérature a débuté vers le viie ou le viiie siècle de notre ère et s'est poursuivie jusqu'à la conquête anglaise et même quelque peu au-delà. Elle comprend trois sortes d'ouvrages : les commentaires, qui, tout en s'attachant à un texte particulier, citent un nombre parfois considérable d'autres textes pour les concilier ; les « digestes », qui sous des rubriques diverses rangent les versets et sūtras des différents livres rentrant dans la smṛti, en les reliant parfois par de brefs commentaires ; et les traités, qui sont des œuvres plus didactiques, soit qu'ils embrassent l'ensemble des règles de la smṛti, soit qu'ils se cantonnent dans une matière déterminée.
Les auteurs de ces ouvrages ont accompli un travail considérable, en raison de la quantité énorme de textes qu'ils ont dépouillés, les rassemblant et les classant, rapprochant les uns des autres ceux qui traitent du même sujet ; mais c'est surtout par les discussions et les solutions qu'ils présentent en vue de donner aux prescriptions des śāstra la valeur et la force de règles juridiques qu'ils méritent de retenir l'attention.
À cet égard, on doit signaler le rôle important joué par la théorie de l'ekavākyatā (« univocité ») ou du consensus, empruntée par les interprètes à la doctrine mīmāṃsā. Le but primitif de la mīmāṃsā avait été l'exégèse des textes védiques, mais la méthode qu'elle instaurait a été adoptée de très bonne heure par les commentateurs des textes de la smṛti. Selon cette théorie, les règles de dharma formulées dans la smṛti dérivant d'une Loi unique, éternelle et immuable posée par le Créateur à l'origine du monde, ont toutes la même autorité, quelle que soit l'époque à laquelle elles ont été formulées. Aussi bien, les auteurs de commentaires et de digestes mettent sur le même plan et accordent la même valeur aux prescriptions des différents dharmaśas̄tra, sans attribuer une prééminence à celui-ci sur celui-là. Or il n'est pas douteux que la rédaction de ces ouvrages s'est échelonnée sur un très long laps de temps et qu'ils ont par suite subi l'influence de milieux et d'opinions fort diverses. En fait, s'ils se complètent souvent, ils diffèrent aussi parfois et même se contredisent. Pour les interprètes, ces contrariétés et ces contradictions ne sont que des apparences, dues à l'infirmité de l'intelligence humaine, et il leur revient précisément de proposer une solution qui les concilie. Les interprètes se sont attachés à cette tâche avec beaucoup de soin, faisant preuve d'une dextérité de véritables juristes, écartant telle règle par des motifs subtils et parfois spécieux pour attribuer à telle autre une autorité qui leur semblait dominante. Étant donné la marge laissée à l'interprétation par la diversité des prescriptions formulées dans les ouvrages de la smṛti, il en est résulté une pluralité de solutions qui, ayant toutes leur source dans les textes sacrés, doivent être toutes tenues pour également valables et légitimes. En pratique, encore que les auteurs ne fassent que très exceptionnellement allusion aux faits coutumiers et qu'ils paraissent préoccupés uniquement d'argumenter et de convaincre, il y a tout lieu de penser qu'ils ont cherché à faire œuvre utile et à orienter leur argumentation vers la solution qui avait le plus de chance d'entrer dans la pratique. Ainsi, quand Mādhava, commentateur originaire du sud de l'Inde, s'efforce au xviiie siècle, malgré les versets pourtant fort explicites de Manu (IX, 172-173), de justifier la validité du mariage contracté avec la fille de l'oncle maternel, il est certain qu'il entendait légitimer un usage courant[...]
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Écrit par
- Robert LINGAT : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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