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HINDOU DROIT TRADITIONNEL

L'ordre du roi

L'ordre du roi est le troisième élément du droit positif. Les tribunaux locaux et, au sommet de la hiérarchie judiciaire, le roi sont chargés d'assurer le respect du droit hindou, avant tout façonné par la coutume. Le devoir primordial du roi hindou est en effet de maintenir la paix et l'ordre dans son royaume, ce qui fait de lui le juge ou plutôt l'arbitre suprême dans les contestations entre ses sujets. Il ne peut évidemment légiférer dans le domaine régi par les śāstra, expression d'une Loi souveraine, intangible par essence. Pour la coutume qui serait contraire au dharma, des motifs de sagesse politique que lui rappellent les śāstra lui conseillent de ne pas y toucher, de crainte de soulever contre lui le mécontentement de la population. Tout au plus lui serait-il permis d'abroger un usage qui apparaîtrait d'une immoralité particulièrement choquante. En revanche, le pouvoir absolu dont il jouit lui permet de rendre des ordres qui, quels qu'ils soient, doivent être exécutés. Aussi son intervention en matière judiciaire, quand elle est réclamée, apparaît-elle beaucoup plus libre que celle de l'interprète ou d'un juge ordinaire. Sans doute les śāstra lui recommandent de faire régner le dharma dans son royaume et ne manquent pas de lui rappeler les sanctions qui le frapperont dans l'au-delà s'il s'écarte des prescriptions de la smṛti. C'est donc le monarque en définitive qui aura à choisir, entre les diverses solutions proposées par les interprètes, celle qui lui paraîtra le mieux convenir à l'espèce qui lui est soumise, et sa sentence s'imposera aux plaideurs. Pourtant, il lui sera loisible d'en décider autrement s'il estime que l'intérêt de l'État ou simplement l'équité exigent qu'il soit contrevenu aux prescriptions des śāstra. Les dharmaśāstra eux-mêmes engagent le roi dans cette voie quand ils lui conseillent de tenir compte de l'artha, notion vague qui recouvre à la fois celle de l'intérêt (des plaideurs ou de l'État) et celle d'opportunité. Mais sa sentence, même lorsqu'elle se fonde sur les prescriptions de la smṛti, n'est qu'un ordre dont le seul effet est de mettre fin à un litige. Elle n'est valable qu'entre les plaideurs qui se sont adressés à lui et ne constitue donc pas un précédent qui le lierait pour la solution d'autres litiges analogues. Elle n'est pas à proprement parler une source du droit. Il est possible qu'il ait existé des recueils de jugements royaux, bien qu'il y ait tout lieu de penser qu'ils avaient pour but, non pas d'assurer une certaine unité de jurisprudence, mais de servir d'exemple aux tribunaux en raison de l'originalité ou de la subtilité des moyens de fait employés pour justifier la sentence qui avait été prise. Aussitôt rendue, la sentence disparaît du domaine du droit. Seule demeure la Loi éternelle, le droit écrit des śāstra, toujours ouvert à des interprétations qui, sans fixer le droit, tendront dans l'esprit des populations à légitimer leurs pratiques.

Il n'est pas douteux qu'un tel système, si imparfait qu'il nous paraisse, convenait particulièrement bien à l'Inde en raison de sa grande souplesse, qui lui permettait non seulement de tenir compte de la diversité des règles coutumières, mais aussi de s'adapter aux changements survenus dans les mœurs, contrairement à l'image que l'on se fait généralement de l'immobilisme des traditions indiennes. En réalité, si les dharmaśāstra ont fourni un cadre aux institutions, leur diversité, en raison du dogme du consensus admis par l'interprétation, en faisait un cadre mouvant, apte à recevoir et à légitimer les institutions les plus différentes.

On comprend que, avec la conquête anglaise[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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