DU MOUVEMENT ET DE L'IMMOBILITÉ DE DOUVE, Yves Bonnefoy Fiche de lecture
Lorsque paraît son premier recueil en octobre 1953, sous la couverture bleutée des éditions du Mercure de France, Yves Bonnefoy n'a publié qu'une plaquette, Traité du pianiste (1946). Quelques textes ont paru dans des revues (Les Deux Sœurs, La Part du sable, Troisième Convoi, La Révolution la nuit) qui permettent de situer son premier horizon poétique. Il s'agit moins alors pour lui de donner quitus au surréalisme d'après-guerre – Bonnefoy est de ceux qui, après 1947, assument par l'opposition une exigence de « rupture inaugurale » – que de promouvoir sa métamorphose, au début des années 1950, dans un entourage amical qui désigne d'entrée de jeu le lieu de la parole comme un lieu de pensée et un acte de présence. Des poètes proches de Bataille (Michel Fardoulis-Lagrange) ou de Sade (Gilbert Lély), un surréalisme international et ironique (Georges Henein ou Christian Dotremont), le souvenir de Benjamin Péret, la peinture italienne depuis les primitifs jusqu'à Chirico et la passion de Shakespeare accompagnent dans ces premiers poèmes la naissance d'une voix magistrale, qui allait prendre en cinquante ans une place éminente dans la littérature française.
L'énigme d'un nom
Le titre constitue un double mystère. Empruntant la défroque du traité philosophique ou physique, il propose au lecteur l'énigme d'un nom propre resté de bout en bout énigme. Ce nom propre en effet est aussi nom commun. Le nom « douve » est pour le dictionnaire issu « de l'action de recevoir » en soi, qu'il désigne un fossé d'eau ou la planche courbe du tonneau. Son homonyme renvoie tout ensemble au ver parasite de l'animal et à la plante supposée l'abriter. Femme ou muse, figure de la mort ou désignation pythique, le nom de Douve et son interpellation signifient dans leur mystère même l'inauguration d'une forme poétique, congé donné à certaine image surréaliste ou non, en procédant à la mise en scène, sous des formes variées, d'un dialogue où se mêlent l'abstrait et l'expérience, le corps concret et la pensée réflexive. L'épigraphe empruntée à Hegel situe la place de la mort dans ce discours refondé : « Mais la vie de l'esprit ne s'effraie point devant la mort et n'est pas celle qui s'en garde pure. Elle est la vie qui la supporte et se maintient en elle. »
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
Classification
Média