DU SPIRITUEL DANS L'ART ET DANS LA PEINTURE EN PARTICULIER, Wassily Kandinsky Fiche de lecture
Une esthétique de la « dissonance »
La « langue universelle » recherchée par Kandinsky procède par un double mouvement, où alternent la purification des arts existants et leur synthèse dans un « art monumental », projeté dans l'avenir, où les arts du temps (musique, danse, poésie) pourraient s'unir aux arts de l'espace (peinture et architecture essentiellement).
Dans la seconde partie de son livre, qui entend jeter les bases d'une véritable « grammaire » des couleurs et des formes, Kandinsky démontre son attachement à la théorie des « correspondances » (remontant à l'Antiquité) et à l'un de ses aspects majeurs : la synesthésie. S'appuyant sur des sources médicales et ésotériques, l'artiste compare la palette de couleurs tantôt aux hauteurs musicales (tons), tantôt aux timbres liés à chaque instrument. C'est le second aspect, jugé plus intuitif, qu'il finit par privilégier, en phase avec les recherches d'Arnold Schönberg, avec lequel il entretient un échange épistolaire intense à partir de janvier 1911. Kandinsky fait de la synesthésie le fer de lance d'une esthétique de la « dissonance », en invitant au libre jeu d'accords contradictoires à l'intérieur de correspondances jugées inhérentes aux réflexes associatifs de la pensée. On assiste ainsi, dans Du spirituel dans l'art, à un véritable passage de relais entre symbolisme et expressionnisme, l'idée d'une fusion harmonieuse des langages étant remplacée par celle d'un contraste où chaque partie garde son autonomie au sein du tout. Kandinsky résume l'histoire récente de la peinture lorsqu'il évoque les trois « genres » déclinés dans les titres de ses tableaux. L'« Impression » se réfère au rapport immédiat des impressionnistes au motif observé. L'« Improvisation » désigne le travail d'intériorisation qui est propre au symbolisme. La « Composition », enfin, exprime l'épanouissement des moyens purs de la peinture dans une totalité qui naîtrait entièrement du monde intérieur de l'artiste, à l'exemple de l'écriture musicale.
Porté par le modèle du traité humaniste, Du spirituel dans l'art se présente néanmoins comme une mise en chantier de questions qui trouveront une réponse dans le laps de temps très court qui sépare cette publication de la Première Guerre mondiale. Il est un problème en particulier auquel Kandinsky refuse de répondre ici explicitement : « Faut-il totalement renoncer à ce qui est objet [...] et mettre totalement à nu l'abstrait pur ? » Encore hanté à cette époque par la forme décorative, qu'il perçoit comme une forme « morte » et « sans âme », le peintre attendra l'année 1913 et la création de ses premières toiles abstraites pour déclarer, dans Rückblicke (Regards en arrière, éditions Der Sturm, Berlin), que l'art et la nature sont « deux domaines entièrement indépendants ».
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Écrit par
- Marcella LISTA : docteur en histoire de l'art, responsable de programmation au musée du Louvre
Classification
Média
Autres références
-
ART (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 282 mots
Une explication supplémentaire dans l’élucidation du génie nous est apportée au xxe siècle par le peintre Wassily Kandinsky (1866-1944) dans son essai théorique Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1911). Le peintre y développe le concept de « nécessité intérieure...