DU SUBLIME, Pseudo-Longin Fiche de lecture
« Par-delà deux millénaires, ce livre nous apporte un souffle vivant, non plus la moisissure des écoles et des bibliothèques » : ainsi le grand critique allemand Ernst-Robert Curtius, dans La Littérature européenne et le Moyen Âge latin (1948), salue-t-il le petit traité Du sublime (Péri Hupsous) – un sommet selon lui de la rhétorique antique.
« Un livre d'or » (Casaubon)
Nous ne connaissons le texte qu'à partir d'un manuscrit lacunaire du xe siècle. Il a longtemps été attribué à Longin, rhéteur grec et homme d'État du iiie siècle après J.-C., mis à mort par les Romains ; mais la critique interne permet de le dater plus sûrement du ier siècle, et son recours à un exemple biblique (le Fiat lux de la Genèse), unique dans un traité païen, suggère une proximité avec le judaïsme hellénistique, voire avec Philon d'Alexandrie. Il est sûr en tout cas qu'il ne s'agit pas d'un manuel : au contraire, le Pseudo-Longin marque nettement l'insuffisance d'une approche purement technique lorsqu'il s'agit de haute littérature (hupsos = haut, élevé) – prose ou poésie, ce qui est plus son objet que la seule éloquence. La véritable grandeur d'une œuvre n'est d'ailleurs pas affaire de style : Boileau écrira justement dans la préface à sa traduction que, « par sublime, Longin n'entend pas ce que les orateurs entendent par style sublime », c'est-à-dire « de grands mots ». Il le distingue en particulier du procédé de l'amplification (XI-3), et bien sûr de « l'enflure » (III-3).
Le sublime ne vise pas la persuasion, finalité habituelle du discours, mais « l'extase », le ravissement. « Notre âme s'élève » à son effet, « comme si elle avait enfanté elle-même ce qu'elle avait entendu » (VII-2) : c'est que produire le sublime suppose une hauteur d'âme, en quelque sorte contagieuse. La critique devient ici exercice d'admiration (Homère, Démosthène) et de discernement. Il lui faut se hisser au niveau de son sujet, sous peine de le trahir. Si la grandeur d'âme est innée, elle se révèle en fréquentant les grandes œuvres et n'exclut certes pas un art – d'où l'étude, dans les derniers chapitres, de figures comme l'hyperbole, la métaphore ou l'asyndète. Car « la grandeur abandonnée à elle-même, sans la science, privée d'appui et de lest, court les pires dangers, en se livrant au seul emportement et à une ignorante audace. S'il lui faut souvent l'aiguillon, il lui faut aussi le frein... » (II-2).
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
Classification
Autres références
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SUBLIME
- Écrit par Philippe LACOUE-LABARTHE
- 6 156 mots
- 3 médias
« Sublime » transcrit le latin sublime, neutre substantivé de sublimis, qui lui-même traduit le grec to hupsos. La formation du mot latin s'explique mal, mais le sens est tout à fait clair : sublimis (de sublimare, élever) signifie : haut dans les airs, et par suite, au sens physique comme...
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SUBLIME, littérature
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 1 344 mots
« Sublime » est d'abord un terme technique, emprunté par la théorie littéraire à la rhétorique, décalque du latin sublimis, qui traduit le grec hupsos : « élevé », « en hauteur ». Il qualifie donc le « style élevé », celui de la grande éloquence, qui vise à provoquer...