DUALISME
Le dualisme en théologie
Dualisme prégnostique
Des conceptions dualistes apparaissent dans le judaïsme vers le début de l'ère chrétienne, tout en restant limitées par le rigoureux monothéisme. Selon ces conceptions, Dieu agit par le moyen de deux puissances opposées. Dans la Règle de Qumrān, on lit que deux esprits créés par Dieu, le prince des lumières et l'ange des ténèbres, dominent le monde. Philon dit que Dieu a créé le monde par deux puissances dont l'une cause les biens et l'autre les maux (Quaestiones in Exodum, I, 23). L'apocalyptique juive oppose le monde présent au monde futur en une sorte de dualisme temporel. Cependant nulle part, dans le judaïsme, la critique du monde n'est poussée au point où elle le sera dans le gnosticisme et déjà dans le premier christianisme. L'ange des ténèbres de Qumrān n'est pas le « prince du monde » ; les deux esprits sont dans le monde à égalité. C'est dans le IVe Évangile que le diable est le « prince du monde ». On a pu parler de « dualisme johannique », et ce dualisme de Jean l'Évangéliste va plus loin, dans le sens du gnosticisme, que celui de l'apocalyptique juive.
Dualisme gnostique
Le nom de gnosticisme a été donné par les historiens modernes à un ensemble d' hérésies chrétiennes qui apparurent dès la fin du ier siècle. Ces hérésies, nombreuses et diverses, s'accordaient en ce qu'elles rejetaient, au moins en partie, l'Ancien Testament, et en ce qu'elles modifiaient la doctrine biblique de la création. Pour les gnostiques, le monde n'est pas créé ni gouverné directement par Dieu, mais par des puissances inférieures et aveugles qui ne connaissent pas Dieu. Le Yahvé de la Bible, le Créateur, fait partie de ces puissances. Le monde n'est pas de Dieu (directement), et l'âme, étincelle divine, n'est pas du monde. L'âme était asservie aux forces du monde ; elle a pu être libérée, prendre conscience de son origine et revenir à Dieu grâce à la gnôsis, la connaissance surnaturelle apportée par le Sauveur.
Les gnostiques opposaient donc l'origine du monde à l'origine de l'âme. Cependant ils n'étaient pas complètement dualistes. Selon eux, le créateur du monde se rattachait d'une certaine manière au vrai Dieu, soit qu'il fût un de ses anges, soit qu'il en fût descendu par une généalogie d'émanations. Ce dualisme n'était donc pas absolu ni systématique. Il consistait surtout dans le sentiment d'une distance infinie entre Dieu et le monde, et dans l'idée que le Dieu de l'ancienne loi, qui agit directement sur le monde, n'est pas le vrai Dieu.
Il y eut de grands maîtres gnostiques au iie siècle : Basilide, Valentin, Marcion. Mais, condamné par l'Église de Rome vers le milieu de ce siècle, le gnosticisme devint ensuite de plus en plus syncrétiste. Les gnostiques tardifs, héritant d'un christianisme détaché de l'Ancien Testament, ne voient aucune difficulté à l'unir avec des traditions païennes (platonisme, mystères, religions orientales). En même temps, certains païens semblent adopter des idées analogues aux leurs. À partir du milieu du iie siècle environ, des idées du genre gnostique se rencontrent, non plus seulement chez des chrétiens, mais dans des écrits qui semblent païens, par exemple les Hermetica.
Ainsi, à partir d'une certaine époque, les idées gnostiques ne semblent plus liées nécessairement au christianisme. C'est ce qui a permis à certains savants de soutenir que le gnosticisme n'était pas essentiellement une hérésie chrétienne ; que dès l'origine, contrairement à ce qu'ont cru les Pères de l'Église, c'était un grand courant de pensée qui, tout en se mêlant au christianisme, existait en dehors de lui, indépendamment de lui, et peut-être même avait commencé avant[...]
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Écrit par
- Simone PÉTREMENT : agrégé de l'université, conservateur honoraire à la Bibliothèque nationale
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