UGREŠIĆ DUBRAVKA (1949-2023)
Écrivaine et essayiste d’envergure internationale, figure majeure du féminisme et de l’antinationalisme en ex-Yougoslavie, Dubravka Ugrešić naît le 27 mars 1949 à Kutina (Yougoslavie, auj. en Croatie), d’un père croate et d’une mère bulgare. Après des études de langue et littérature russes et de littérature comparée à l’université de Zagreb, elle poursuit ses recherches à l’Institut de théorie de la littérature, où elle travaillera presque vingt ans. Elle est notamment l’auteure de l’étude Nouvelle prose russe (1980), codirige avec Aleksandar Flaker la rédaction d’un Glossaire de l’avant-garde russe en dix volumes (1984), traduit les écrivains russes Daniil Harms et Boris Pilniak, et dirige une anthologie de la prose russe alternative (Claque dans la main, 1989 [non traduit]), une passion érudite pour l’avant-garde russe – dont le destin tragique entrera en résonance avec le sien propre – que l’on retrouve dans son œuvre littéraire.
En parallèle à son travail universitaire, Dubravka Ugrešić commence à écrire. Après les livres pour la jeunesse, Petite flamme (1971, non traduit) et Filip et Chancette (1976, non traduit), devenus mythiques pour toute une génération, et le recueil de nouvelles Pose pour la prose (1978), c’est le court roman Dans la gueule de la vie (1981, trad. fr. 1997) qui la propulse sur le devant de la scène littéraire. Au travers de son héroïne Štefica Cvek, Dubravka Ugrešić interroge la place de la femme dans la société en subvertissant le genre du roman à l’eau de rose. Pour raconter un « vrai destin de femme », elle emploie la technique postmoderne du collage, ou plutôt de la couture, art typiquement féminin. Remise en question de la hiérarchie entre la « grande » littérature et la « triviale », jeu sur la forme au service d’une réflexion politique, les caractéristiques de l’œuvre de Dubravka Ugrešić sont déjà là, et cette expérimentation inédite fait des (més)aventures de Štefica un livre culte. Suivent le recueil de nouvelles La Vie est un conte de fées (1983, non traduit) et L’Offensive du roman-fleuve (1988, trad. fr. 1993), récompensé par le prestigieux prix NIN, qu’elle est la première femme à remporter.
Les années 1990, marquées par l’éclatement de la Yougoslavie et la longue guerre qui s’ensuit, sont un tournant tragique dans la vie de Dubravka Ugrešić. En 1993, elle est attaquée, ainsi que d’autres écrivaines et journalistes, par une tribune infamante intitulée « Les féministes croates violent la Croatie ». On leur reproche, entre autres, de traiter des violences contre les femmes en général, au lieu de se concentrer sur les viols de guerre commis par les Serbes. Les médias se déchaînent et, à l’issue de cette véritable chasse aux sorcières, elle quitte le pays. Après une brève escale à Berlin puis aux États-Unis, Dubravka Ugrešić finit par s’établir à Amsterdam, où elle continue à écrire, tout en donnant des cours dans des universités américaines.
Durablement marquée par cette expérience, farouchement antinationaliste et engagée, Dubravka Ugrešić se tourne alors vers la forme de l’essai. Dans La Culture du mensonge (1996, non traduit), elle aborde le rôle de l’intellectuel face à la propagande et à la guerre. Suivent Ceci n’est pas un livre (2001, trad. fr. 2005), Il n’y a personne pour vous répondre (2005, trad. fr. 2010) et Karaoke Culture (2010, trad. fr. 2012), dans lesquels elle analyse l’évolution de la culture dans un monde capitaliste et mondialisé, puis elle interroge la place de l’écriture et sa prétendue liberté face à la toute-puissante loi du marché. Mais Dubravka Ugrešić n’abandonne pas la littérature pour autant : dans son premier roman d’exil, Le Musée des redditions sans conditions (1998, trad. fr. 2004), elle explore la douleur du déracinement au travers des menus objets,[...]
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Écrit par
- Chloé BILLON : traductrice littéraire et interprète de conférences
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